Introduction
1. En honorant Marie comme Mère du Seigneur, toutes les générations
d'anglicans et de catholiques romains ont fait écho à la salutation d'Élisabeth :
« Bénie es tu entre les femmes et béni est le fruit de ton ventre » (Luc
1, 42). La Commission internationale anglicane - catholique romaine
présente maintenant cette déclaration d'accord sur la place de Marie dans la vie et la
doctrine de l'Église avec l'espoir qu'elle exprime notre foi commune au sujet de celle
qui, de tous les croyants, est la plus proche de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ.
Nous le faisons à la demande de nos deux Communions, en réponse aux questions qui nous
ont été soumises. Une consultation spéciale d'évêques anglicans et catholiques
romains, réunie sous la direction de l'archevêque de Cantorbéry, le Dr George
Carey, et du cardinal Edward I. Cassidy, président du Conseil pontifical pour la
promotion de l'unité des chrétiens, à Mississauga, Canada, en 2000, a expressément
demandé à l'ARCIC « une étude sur Marie dans la vie et la doctrine de
l'Église ». Cette demande rappelle l'observation du rapport de Malte (1968) notant
que « les différences réelles ou apparentes entre nous se font jour dans des questions
comme
les définitions mariales promulguées en 1854 et 1950 ». Plus
récemment, dans Ut unum sint (1995), le pape Jean-Paul II a identifié
comme un des thèmes à approfondir par toutes les traditions chrétiennes pour parvenir
à un vrai consensus dans la foi « la Vierge Marie, mère de Dieu et icône de
l'Église, Mère spirituelle qui intercède pour les disciples du Christ et pour toute
l'humanité » (§ 79).
2. L'ARCIC a abordé une fois précédente ce sujet. Autorité
dans l'Église II (1981) a déjà pris acte d'un niveau d'accord
significatif :
« Nous sommes d'accord qu'il ne peut y avoir qu'un seul médiateur entre Dieu et
les hommes, Jésus Christ, et nous rejetons toute interprétation du rôle de Marie qui
obscurcit cette affirmation. Nous sommes d'accord pour reconnaître que la compréhension
chrétienne de Marie est inséparablement liée avec les doctrines du Christ et de
l'Église. Nous sommes d'accord pour reconnaître la grâce et la vocation unique de
Marie, Mère de Dieu incarné (Theotókos) en observant ses fêtes et en
l'honorant à l'intérieur de la communion des saints. Nous sommes d'accord qu'elle a
été préparée par la grâce divine pour être la mère de notre Sauveur par qui
elle-même a été sauvée et reçue dans la gloire. En outre, nous sommes d'accord pour
reconnaître en Marie un modèle de sainteté, d'obéissance et de foi pour tous les
chrétiens. Nous acceptons qu'il est possible de la regarder comme une figure prophétique
de l'Église de Dieu avant comme après l'Incarnation » (§ 30).
Cependant le même document relève des différences qui subsistent :
« Les dogmes de l'Immaculée Conception et de l'Assomption soulèvent un
problème particulier pour ceux des anglicans qui ne pensent pas que les définitions
précises données par ces dogmes soient suffisamment fondées dans l'Écriture. Pour
beaucoup d'anglicans l'autorité d'enseignement de l'évêque de Rome, exercée
indépendamment d'un concile, n'est pas mise positivement en lumière par sa proclamation
de ces doctrines mariales comme des dogmes obligatoires pour tous les croyants. Les
anglicans peuvent aussi se demander si lors d'une future union entre les deux Églises on
leur demanderait de souscrire à ces déclarations dogmatiques. »
(§ 30).
Ces réserves en particulier ont été notées dans le document officiel Réponse
du Saint-Siège au rapport final (1991, § 13). Ayant pris ces croyances
partagées et ces questions comme point de départ de notre réflexion, nous sommes
maintenant en mesure d'affirmer un nouvel accord significatif sur la place de Marie dans
la vie et la doctrine de l'Église.
3. Le présent document propose un relevé plus complet de notre foi
partagée concernant la bienheureuse Vierge Marie et fournit ainsi le contexte d'une
appréciation commune du contenu des dogmes mariaux. Nous abordons aussi les différences
de pratique, y compris l'invocation explicite de Marie. Cette nouvelle étude sur Marie a
bénéficié de notre précédente étude sur la « réception » dans Le
don de l'autorité (1999). Nous y avons conclu que, lorsque l'Église reçoit et
admet ce qu'elle reconnaît comme l'expression authentique de la Tradition confiée une
fois pour toutes aux Apôtres, cette réception est un acte à la fois de fidélité et de
liberté. La liberté de répondre de manière renouvelée face à de nouveaux défis est
ce qui rend l'Église capable d'être fidèle à la Tradition qu'elle transmet. En
d'autres occasions, certains éléments de la Tradition apostolique peuvent être
oubliés, négligés ou malmenés. Dans ces situations, un recours renouvelé à
l'Écriture et à la Tradition remet en mémoire la révélation de Dieu dans le
Christ : nous appelons ce processus re-réception (cf. Don 24-25).
Le progrès dans le dialogue et la compréhension œcuméniques suggère que nous avons
maintenant une occasion de re-recevoir ensemble la tradition sur la place de Marie dans la
révélation de Dieu.
4. Depuis ses débuts l'ARCIC a cherché à remonter en arrière des
positions opposées et bien arrêtées pour découvrir et développer notre héritage
commun de foi (cf. Autorité I 25). A la suite de la Déclaration
commune de 1966 du pape Paul VI et de l'archevêque de Cantorbéry, le Dr
Michael Ramsey, nous avons continué notre « dialogue sérieux ... fondé sur
les évangiles et les traditions anciennes communes » ? Nous nous sommes
demandés jusqu'à quel point la doctrine et la dévotion concernant Marie font partie
d'une « réception » légitime de la Tradition apostolique en conformité avec
les Écritures. Cette Tradition a comme noyau la proclamation de
« l'économie » trinitaire « du salut », qui fonde la vie et la
foi de l'Église dans la communion divine du Père, du Fils et de l'Esprit. Nous avons
cherché à comprendre la personne de Marie et son rôle dans l'histoire du salut et dans
la vie de l'Église à la lumière d'une théologie de la grâce divine et de
l'espérance. Une telle théologie est profondément enracinée dans l'expérience
constante de la liturgie et de la dévotion chrétiennes.
5. La grâce de Dieu appelle et rend possible la réponse humaine (cf.
Le Salut et l'Église 9). On le voit dans le récit évangélique de
l'annonciation, où le message de l'ange provoque la réponse de Marie. L'Incarnation et
tout ce quelle a entraîné, y compris la passion, la mort et la résurrection du Christ
et la naissance de l'Église, se produisent grâce au fiat librement exprimé par
Marie -- « qu'il m'advienne selon ta parole » (Luc 1, 38). Nous
reconnaissons dans l'événement de l'Incarnation le « oui » gratuit de Dieu
à l'humanité dans son ensemble. Cela nous rappelle une fois de plus les paroles de
l'Apôtre dans 2 Corinthiens 1, 18-20 (Don 8ss) : toutes les
promesses de Dieu reçoivent leur « oui » dans le Fils de Dieu, Jésus Christ.
Dans ce contexte le fiat de Marie peut être considéré comme l'exemple suprême
de l' « amen » d'un croyant en réponse au « oui » de Dieu.
Les disciples chrétiens répondent à ce même « oui » avec leur propre
« amen ». Ils savent ainsi qu'ils sont eux-mêmes ensemble les enfants de
l'unique Père des cieux, nés de l'Esprit comme frères et sœurs de Jésus Christ,
entraînés au sein de la communion d'amour de la sainte Trinité. Marie résume une telle
participation à la vie de Dieu. Sa réponse n'a pas été faite sans profonde
interrogation et elle s'est exprimée dans une vie marquée par une joie mêlée de peines
qui l'a en fait menée au pied de la croix de son fils. Quand les chrétiens s'unissent
dans l'« amen » de Marie au « oui » de Dieu dans le Christ, ils
s'engagent eux-mêmes à une réponse obéissante à la Parole de Dieu, qui conduit à une
vie de prière et de service. Comme Marie, ils ne glorifient pas seulement le Seigneur des
lèvres : ils s'engagent eux-mêmes à servir la justice de Dieu par leurs vies (cf.
Luc 1, 46-55).
A. Marie selon les Écritures
6. Nous restons convaincus que les Écritures saintes, en tant que
Parole de Dieu écrite, portent témoignage de façon normative du plan divin de salut,
aussi est-ce vers elles que ce rapport se porte d'abord. En effet, il est impossible
d'être fidèle à l'Écriture et de ne pas prendre Marie sérieusement en considération.
Nous reconnaissons, toutefois, que, pendant plusieurs siècles, anglicans et catholiques
romains ont interprété les Écritures tout en étant séparés les uns des autres. En
réfléchissant ensemble au témoignage des Écritures concernant Marie, nous avons
découvert plus que de simples aperçus attachants sur la vie d'une grande sainte. Nous
nous sommes trouvés méditer avec étonnement et gratitude sur toute la trajectoire de
l'histoire du salut : la création, l'élection, l'Incarnation, passion et
résurrection du Christ, le don de l'Esprit dans l'Église et la vision finale de la vie
éternelle pour tout le peuple de Dieu dans la nouvelle création.
7. Dans les paragraphes qui suivent, nous recourons à l'Écriture
avec le souci de faire appel à toute la tradition de l'Église, au cours de laquelle
furent utilisés des lectures riches et variées. Dans le Nouveau Testament, l'Ancien
Testament est généralement interprété de manière typologique1 :
des événements et des images sont comprises en référence spécifique au Christ. Cette
approche est développée ensuite par les Pères et les prédicateurs et auteurs du Moyen
Âge. Les Réformateurs ont souligné la clarté et la suffisance de l'Écriture et ont
appelé à un retour à la réalité centrale du message évangélique. Les approches
historico-critiques ont tenté de discerner le sens voulu par les auteurs bibliques et de
rendre compte des origines des textes. Chacune de ces lectures a ses limites et peut
donner lieu à des exagérations ou à des déséquilibres : la typologie peut se
laisser aller à des extravagances, les insistances de la Réforme devenir
réductionnistes et les méthodes historico-critiques exagérément historicistes. Des
approches plus récentes de l'Écriture attirent l'attention sur la gamme de lectures
possibles d'un texte, notamment ses dimensions narratives, rhétoriques et sociologiques.
Dans ce rapport nous cherchons à intégrer ce qui est valable dans chacune de ces
approches comme correction et, en même temps, comme contribution à notre utilisation de
l'Écriture. En outre, nous reconnaissons qu'aucune lecture d'un texte n'est neutre, mais
que chacune est modelée par le contexte et l'intérêt de ses lecteurs. Notre lecture
s'est effectuée dans le contexte de notre dialogue dans le Christ, au bénéfice de cette
communion qui est sa volonté. C'est donc une lecture ecclésiale et œcuménique, qui
cherche à considérer chaque passage concernant Marie dans le contexte du Nouveau
Testament pris comme un tout, en regard de l'arrière-plan vétérotestamentaire et à la
lumière de la Tradition.
Le témoignage de l'Écriture : une trajectoire de grâce et
d'espérance
8. L'Ancien Testament porte témoignage à la création par Dieu des
hommes et des femmes comme image divine et à l'appel aimant de Dieu invitant à une
relation d'alliance avec lui-même. Même quand ils ont désobéi, Dieu n'a pas abandonné
les êtres humains au péché et au pouvoir de la mort. Encore et encore Dieu a offert une
alliance de grâce. Dieu a fait une alliance avec Noé, stipulant que plus jamais les eaux
d'un déluge ne détruiraient « toute chair ». Le Seigneur a fait une alliance
avec Abraham, stipulant que, par lui, toutes les familles de la Terre seraient bénies.
Par Moïse il a fait une alliance avec Israël, stipulant que, obéissant à sa parole,
les Israélites seraient une nation sainte et un peuple sacerdotal. Sans cesse les
prophètes ont sommé le peuple de revenir de la désobéissance vers le Dieu de la grâce
de l'alliance, d'accueillir la parole de Dieu et de la laisser porter fruit dans leur vie.
Ils ont attendu un renouvellement de l'alliance où régnerait l'obéissance parfaite et
le don parfait de soi. « Voici l'alliance que je conclurai avec la maison d'Israël
après ces jours, dit le Seigneur : je mettrai ma loi au dedans d'eux, et je
l'écrirai sur leur cœurs ; et je serai leur Dieu et ils seront mon peuple »
(Jérémie 31, 33). Dans la prophétie d'Ézéchiel cette espérance est exprimée
non seulement en termes de bain et de purification, mais aussi de don de l'Esprit
(Ézéchiel 36, 25-28).
9. L'alliance entre le Seigneur et son peuple est plusieurs fois
décrite comme une liaison d'amour entre Dieu et Israël, la vierge fille de Sion, épouse
et mère : « Je t'ai fait le serment solennel et j'ai contracté une alliance
avec toi, déclaration du Seigneur Dieu, et tu es devenue mienne » (Ézéchiel
16, 8 ; cf. Isaïe 54, 1 et Galates 4, 27). Même quand il punit
l'infidélité, Dieu reste pour toujours fidèle, promettant de restaurer la relation
d'alliance et de rassembler le peuple dispersé (Osée 1-2 ;
Jérémie 2, 2 ; 31, 3 ; Isaïe 62, 4-5). L'image
nuptiale est également utilisée dans le Nouveau Testament pour décrire la relation
entre le Christ et l'Église (Éphésiens 5, 21-33 ;
Apocalypse 21, 9). En parallèle avec l'image prophétique d'Israël comme
l'épouse du Seigneur, la littérature salomonienne de l'Ancien Testament caractérise la
Sainte Sagesse comme l'assistante-ouvrière de Dieu (Prov 8, 22s ;
cf. Sagesse 7, 22-26), soulignant semblablement le thème de l'aptitude et
de l'activité créatrice. Dans le Nouveau Testament ces motifs prophétiques et
sapientiaux se combinent (Luc 11, 49) et s'accomplissent dans la venue du Christ.
10. Les Écritures parlent également de l'appel par Dieu de personnes
particulières telles David, Élie, Jérémie et Isaïe, de sorte qu'à l'intérieur du
peuple de Dieu certaines tâches spéciales puissent être accomplies. Elles portent
témoignage au don de l'Esprit ou à la présence de Dieu qui les rend aptes à accomplir
la volonté et le dessein de Dieu. On trouve aussi de profondes réflexions sur ce que
signifie être connu et appelé par Dieu depuis les tout débuts de son existence (Psaume
139, 13-16) ; Jérémie 1, 4-5). Ce sens de l'émerveillement devant la
grâce prévenante de Dieu est également attesté dans le Nouveau Testament,
spécialement dans les écrits de Paul lorsqu'il parle de ceux qui sont « appelés
suivant le dessein de Dieu », affirmant que ceux que Dieu « a connus d'avance,
il les a aussi prédestinés à être conformés à l'image de son Fils ... Et ceux
qu'il a prédestinés, ils les a aussi appelés ; et ceux qu'il a appelés, il les a
aussi justifiés ; et ceux qu'il a justifiés il les a aussi glorifiés »
(Romains 8, 28-30 ; cf. 2 Timothée 1, 9). La préparation
par Dieu à une tâche prophétique est bien illustrée dans les paroles dites par l'ange
à Zacharie avant la naissance de Jean le Baptiste : « Il sera rempli de
l'Esprit Saint, dès le sein de sa mère » (Luc 1,15 ; cf.
Juges 13, 3-5).
11. Suivant la trajectoire de la grâce de Dieu et de l'espérance
d'une réponse humaine parfaite, ainsi que nous l'avons retracée dans les paragraphes qui
précèdent, les chrétiens ont, dans la ligne des auteurs de Nouveau Testament, vu son
point culminant dans l'obéissance du Christ. Dans ce contexte christologique, ils ont
discerné un modèle semblable en celle qui devait recevoir la Parole dans son cœur et
son corps, être recouverte de l'ombre de l'Esprit et donner naissance au Fils de Dieu. Le
Nouveau Testament ne parle pas seulement de la préparation par Dieu de la naissance de
son Fils, mais aussi de l'élection, de l'appel et de la sanctification par Dieu d'une
femme juive dans la ligne de ces saintes femmes, comme Sarah et Anne, dont les fils ont
accompli les desseins de Dieu pour son peuple. Paul parle du Fils de Dieu né « à
la plénitude du temps » et « né d'une femme sous la Loi » (Galates
4, 4). La naissance du fils de Marie est l'accomplissement de la volonté de Dieu
pour Israël, et la part de Marie dans cet accomplissement est celle du consentement libre
et sans réserve dans le don de soi total et la confiance. « Voici je suis la
servante du Seigneur, qu'il m'advienne selon ta parole » (Luc 1, 38 ;
cf. Psaume 123, 2).
Marie dans le récit de la nativité de Matthieu
12. Bien que de nombreuses parties du Nouveau Testament fassent
référence à la naissance du Christ, seuls deux évangiles, Matthieu et Luc, chacun
selon sa perspective propre, narrent le récit de sa naissance et mentionnent
expressément Marie. Matthieu intitule son livre « la genèse de Jésus
Christ » (1, 1), en écho à la façon dont la Bible débute
(Genèse 1, 1). Dans la généalogie (1, 1-18) il fait remonter la genèse
de Jésus par l'exil à David et finalement à Abraham. Il note le rôle invraisemblable
joué dans le déroulement providentiel de l'histoire du salut d'Israël par quatre
femmes, dont chacune d'entre elles pousse plus loin les frontières de l'Alliance. Cette
insistance sur la continuité avec l'ancien est ensuite contrebalancée dans le récit de
la naissance de Jésus par une insistance sur ce qui est nouveau (cf. 9, 17), un
type de recréation par l'Esprit Saint, révélant de nouvelles possibilités d'un salut
qui délivre du péché (1, 21) et de présence de « Dieu avec nous »
(1, 23). Matthieu repousse encore les limites quand il tient tout ensemble la
descendance davidique de Jésus par la paternité légale de Joseph et sa naissance de la
Vierge selon la prophétie d'Isaïe -- « Voici que la vierge concevra et enfantera
un fils » (Isaïe 7, 14 LXX).
13. Dans le récit de Matthieu Marie est mentionnée en lien avec son
fils dans des expressions comme « Marie sa mère » ou « l'enfant et sa
mère » (2, 11. 13. 20. 21). Au milieu de toutes les intrigues
politiques, meurtres et déplacements dont fait état ce récit, un moment paisible de
vénération a capté l'imagination chrétienne : les Mages, dont le métier est de
savoir quand le temps est venu, s'agenouillent en hommage devant l'enfant roi avec sa
mère royale (2, 2. 11). Matthieu souligne la continuité de Jésus Christ avec
l'attente messianique d'Israël et la nouveauté qui advient avec la naissance du Sauveur.
Descendance davidique par quelque biais et naissance dans l'ancestrale cité royale
manifestent la première. La conception virginale manifeste la seconde.
Marie dans le récit de la nativité de Luc
14. Dans le récit de l'enfance de Luc, Marie tient une place
éminente depuis le début. Elle est le lien entre Jean le Baptiste et Jésus, dont les
naissances miraculeuses sont délibérément placées en parallèle. Elle reçoit le
message de l'ange et répond dans une humble obéissance (1, 38). Elle entreprend de
sa propre initiative le voyage de Galilée en Judée pour visiter
Élisabeth (1, 40) et proclame dans son cantique le renversement eschatologique
qui sera au cœur de la proclamation du royaume de Dieu par son Fils. Marie est celle qui
dans sa méditation est attentive à ce qui est sous la surface des événements
(2, 19. 51) et représente la conscience intérieure de la foi et de la
souffrance (2,39). Elle parle au nom de Joseph dans la scène au Temple et, bien que
réprimandée pour son incompréhension initiale, continue de progresser dans la
compréhension (2, 48-51).
15. Dans le récit de Luc, deux scènes en particulier invitent à
réfléchir à la place de Marie dans la vie de l'Église : l'annonciation et la
visite à Élisabeth. Ces passages soulignent que Marie est d'une manière unique celle
qui reçoit l'élection et la grâce de Dieu. Le récit de l'annonciation récapitule
plusieurs épisodes de l'Ancien Testament, notamment les naissances d'Isaac (Genèse
18, 10-14), Samson (Juges 13, 2-5) et Samuel (1 Samuel 1, 1-20).
La salutation de l'ange évoque aussi les passages d'Isaïe (66, 7-11), Zacharie
(9, 9) et Sophonie (3, 14-17) qui appellent « la fille de Sion »,
c.-à-d. Israël, à attendre dans la joie la venue de son Seigneur. Le choix du terme
« couvrir de son ombre » (episkiasei) pour décrire l'action de
l'Esprit Saint dans la conception virginale (Luc 1, 35) fait écho aux
chérubins qui couvraient l'arche d'alliance (Exode 25, 20), à la présence de Dieu
couvrant la Tente (Exode 40, 35) et l'Esprit qui planait sur les eaux à la
création (Genèse 1, 2). Lors de la visitation, le cantique de Marie (Magnificat)
reflète le cantique d'Anne (1 Samuel 2, 1-10), élargissant sa portée de sorte
que Marie devient celle qui parle au nom des pauvres et des opprimés qui aspirent à voir
Dieu établir son règne de justice. Tout comme dans la salutation d'Élisabeth, la mère
reçoit une bénédiction qui lui est propre, distincte de celle de son enfant
(1, 42), de même, dans le Magnificat, Marie prédit que « toutes les
générations me diront bienheureuse » (1, 48). Ce texte fournit la base
scripturaire d'une dévotion appropriée envers Marie, mais jamais à part de son rôle de
mère du Messie.
16. Dans le récit de l'annonciation, l'ange appelle Marie
« celle qui est comblée de grâce » par le Seigneur (en grec kecharitomene,
un participe parfait signifiant « qui a été et reste dotée de grâce »)
d'une manière qui implique une sanctification antérieure par la grâce divine en vue de
son appel. L'annonce de l'ange relie le fait que Jésus est « saint » et
« fils de Dieu » avec sa conception par l'Esprit Saint (1, 35). Ainsi la
conception virginale attire l'attention sur la filiation divine du Sauveur qui naîtra de
Marie. L'enfant non encore né est décrit par Élisabeth comme le Seigneur :
« Comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? »
(1, 43). Le paradigme trinitaire de l'action divine est frappant dans ces
scènes : l'Incarnation du Fils est initiée par l'élection de la Vierge
bienheureuse par le Père et elle est réalisée par la médiation de l'Esprit Saint.
Également frappant est le fiat de Marie, l'« amen » qu'elle donne
dans la foi et la liberté à la Parole puissante de Dieu transmise par l'ange
(1, 38).
17. Dans le relation de la naissance de Jésus dans Luc, la louange
que les bergers offrent à Dieu fait parallèle avec l'adoration de l'enfant pas les Mages
dans la relation de Matthieu. C'est ici de nouveau la scène qui constitue le centre
paisible au cœur du récit de la nativité. « Ils trouvèrent Marie et Joseph et le
bébé couché dans une mangeoire (Luc 2, 16). En accord avec la Loi de Moïse,
le bébé est circoncis et présenté au Temple. À cette occasion, Syméon prononce
une parole prophétique particulière pour la mère du Christ-enfant, à savoir
qu'« un glaive transpercera ton âme » (Luc 2, 34-35). À partir de
ce moment, le pèlerinage de Marie dans la foi conduit au pied de la croix.
La conception virginale
18. L'initiative divine dans l'histoire humaine est proclamée dans la
bonne nouvelle de la conception virginale par l'action de l'Esprit Saint (Matthieu
1, 20-23 ; Luc 1, 34-35). La conception virginale peut apparaître au
premier abord comme une absence, c.-à-d. l'absence d'un père humain. Toutefois elle est,
en réalité, un signe de la présence et de l'action de l'Esprit. La croyance dans la
conception virginale est une tradition chrétienne ancienne adoptée et développée
indépendamment par Matthieu et par Luc.2 Pour les
croyants chrétiens c'est un signe éloquent de la filiation divine du Christ et de la vie
nouvelle par l'Esprit. La conception virginale fait penser aussi à la nouvelle naissance
de chaque chrétien comme fils adoptif de Dieu. Chacun est « né de nouveau (d'en
haut) par l'eau et l'Esprit » (Jean 3, 3-5). Vue à cette lumière, la
conception virginale, loin d'être un miracle isolé, est une expression puissante de ce
que l'Église croit au sujet de son Seigneur et au sujet de notre salut.
Marie et la vraie famille de Jésus
19. Après ces récits de nativité, on est quelque peu surpris de
lire l'épisode raconté dans les trois évangiles synoptiques, qui pose la question de la
vraie famille de Jésus. Marc nous raconte que « la mère et les frères »
(Marc 3, 31) de Jésus viennent et se tiennent dehors, attendant de parler avec
lui.3 En réponse Jésus se distancie lui-même de
sa famille naturelle : en lieu et place il parle de ceux qui sont rassemblés autour
de lui, sa « famille eschatologique », c'est à dire « quiconque fait la
volonté de Dieu » (3, 35). Pour Marc, la famille naturelle de Jésus, sa mère
comprise, semble à ce stade manquer de comprendre la vraie nature de sa mission.. Mais ce
sera aussi le cas des disciples (par ex. 8, 33-35 ; 9, 30-33 ;
10, 35-40). Marc indique que la progression dans l'intelligence est inévitablement
lente et douloureuse, et que la foi authentique en Christ ne sera atteinte qu'avec la
rencontre avec la croix et le tombeau vide.
20. Luc évite le contraste fort entre l'attitude envers Jésus de sa
famille naturelle et celle envers lui de sa famille eschatologique
(Luc 8, 19-21). Dans une scène ultérieure (11, 27-28), la bénédiction
« Heureux le ventre qui t'a porté et les seins qui t'ont allaité »,
prononcée par une femme du milieu de la foule, est rectifiée ainsi :
« Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et la pratiquent. »
Mais cette formule de bénédiction, telle que la voit Luc, inclut nettement Marie qui,
depuis le début de son récit, était disposée à laisser toute chose advenir dans sa
vie selon la parole de Dieu (1, 38).
21. Dans son deuxième livre, les Actes des Apôtres, Luc note
qu'entre l'Ascension du Seigneur ressuscité et la fête de la Pentecôte les apôtres se
trouvaient réunis à Jérusalem « avec les femmes et Marie, la mère de Jésus et
les frères de celui-ci » (Actes 1, 14). Marie, qui fut accueillante à
l'action de l'Esprit de Dieu lors de la naissance du Messie (Luc 1, 35-38), fait
ici partie de la communauté des disciples qui attend dans la prière l'effusion de
l'Esprit lors de la naissance de l'Église.
Marie dans l'évangile de Jean
22. Marie n'est pas mentionnée explicitement dans le Prologue de
l'évangile de Jean. Cependant on peut discerner quelque chose de ce que signifie son
rôle dans l'histoire du salut en la situant dans le contexte des vérités théologiques
à contempler que l'évangéliste articule en déployant la bonne nouvelle de
l'Incarnation. L'insistance théologique sur l'initiative divine, qui, dans les narrations
de Matthieu et de Luc, s'exprime dans le récit de la nativité de Jésus, trouve son
parallèle dans le Prologue de Jean qui met l'accent sur la volonté et la grâce de Dieu
arrêtées d'avance, par lesquelles tous ceux qui sont conduits à une nouvelle naissance
sont dits nés « non du sang, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de
l'homme mais de Dieu » (1, 13). Ce sont des paroles qui pourraient être
appliquées à la naissance de Jésus lui-même.
23. A deux moments importants de la vie publique de Jésus, le début
(les noces à Cana) et la fin (la croix), Jean note la présence de la mère de Jésus.
C'est chaque fois un moment de difficulté : le premier plutôt banal à première
vue, mais à un niveau plus profond une anticipation symbolique du second. Jean donne une
place marquante dans son évangile à la noce à Cana (2, 1-12), l'appelant le début
(arche) des signes de Jésus. Le récit met
l'accent sur le vin nouveau que Jésus apporte, un symbole du festin des noces
eschatologiques de Dieu avec son peuple et du banquet messianique dans le Royaume. Le
récit est surtout porteur d'un message christologique : Jésus révèle sa gloire
messianique à ses disciples et ils croient en lui (2, 11).
24. La présence de la mère de Jésus est mentionné au début du
récit : elle a un rôle spécifique dans le déroulement de la narration. Marie
semble avoir été invitée et être présente pour elle-même, non pas avec
« Jésus et ses disciples » (2, 1-2) ; Jésus semble initialement
présent comme faisant partie de la famille de sa mère. Dans le dialogue entre eux quand
le vin vient à manquer, Jésus semble dans un premier temps refuser la requête implicite
de Marie, mais y accède finalement. Cependant cette lecture de la narration laisse place
à une lecture symbolique plus profonde de l'événement. Dans les paroles de Marie
« ils n'ont pas de vin », Jean attribue à Marie l'expression non pas tant
d'une déficience dans l'organisation des noces que d'une nostalgie de salut de tout le
peuple de l'alliance, qui a de l'eau pour la purification mais qui manque du vin de la
joie du royaume messianique. Dans sa réponse Jésus met d'abord en question sa relation
antérieure avec sa mère (« Quoi entre toi et moi ? »), impliquant qu'un
changement doit avoir lieu. Il ne s'adresse pas à Marie en tant que « mère »
mais en tant que « femme » (cf. Jean 19, 26). Jésus ne voit plus sa
relation à Marie dans les termes d'une simple parenté terrestre.
25. La réponse de Marie, ordonnant aux serviteurs :
« Faites tout ce qu'il vous dira » (Jean 2, 5), est
inattendue ; elle n'est pas chargée du festin (cf. 2, 8). Son rôle
initial de mère de Jésus a radicalement changé. Elle apparaît maintenant elle-même
comme une croyante à l'intérieur de la communauté messianique. À partir de ce
moment, elle s'engage totalement envers le Messie et sa parole. Il en résulte un nouveau
type de relation, indiqué par le changement dans l'ordre des principaux personnages à la
fin du récit : « Après cela il descendit à Capharnaüm, avec sa mère et ses
frères et ses disciples » (2, 12). Le récit de Cana ouvre en plaçant Jésus à
l'intérieur de la famille de Marie, sa mère ; à partir de ce moment, Marie fait
partie de la « compagnie de Jésus », elle est son disciple. Notre lecture de
ce passage reflète la façon dont l'Église comprend le rôle de Marie : aider les
disciples à venir vers son Fils, Jésus Christ et à « faire tout ce qu'il vous
dira ».
26. La seconde mention de la présence de Marie dans Jean intervient
à l'heure décisive de la mission messianique de Jésus, sa crucifixion (19, 25-27).
Debout avec d'autres disciples à la croix, Marie prend part à la souffrance de Jésus
qui, à ses derniers instants, lui adresse une parole à titre particulier :
« Femme, voici ton fils » et au disciple bien-aimé : « Voici ta
mère ». Nous ne pouvons qu'être touchés de voir que, juste au moment où il va
mourir, Jésus est préoccupé de l'assistance à sa mère, témoignant de son affection
filiale. Cette lecture au niveau immédiat invite de nouveau à une lecture symbolique et
ecclésiale du riche récit de Jean. Ces derniers ordres de Jésus avant de mourir
laissent voir un sens par-delà la référence première à Marie et au « disciple
bien-aimé » comme individus. Les rôles réciproques de la « femme » et
du « disciple » se rapportent à l'identité de l'Église. Ailleurs dans Jean,
le disciple bien-aimé est présenté comme le modèle du disciple de Jésus, celui qui
lui est le plus proche et ne l'a jamais abandonné, objet de l'amour de Jésus et témoin
toujours fidèle (13, 25 ; 19, 26 ; 20, 1-10 ;
21, 20-25). Comprises dans la perspective de la condition de disciple, les paroles de
Jésus mourant donnent à Marie un rôle maternel dans l'Église et encouragent la
communauté des disciples à l'accueillir comme une mère spirituelle.
27. Si l'on comprend « femme » dans le sens d'une
personnalité collective, c'est un appel à l'Église à regarder sans cesse le Christ
crucifié et un appel à chaque disciple d'avoir à se soucier de l'Église comme d'une
mère. On trouve peut-être implicitement ici une typologie Marie-Ève : tout comme
la première « femme » fut prise de la « côte » d'Adam (Genèse
2, 22, pleura LXX) et devint la mère de tous les vivants (Genèse
3, 20), de même « la femme » Marie, à un plan spirituel, est la mère
de tous ceux qui obtiennent une vie nouvelle de l'eau et du sang qui ont coulé du
« côté » (en grec pleura, littéralement « côte ») du
Christ (19, 34) et de l'Esprit qui est répandu par son sacrifice victorieux
(19, 30 ; 20, 22 ; cf ; 1 Jean 5, 8). Dans
ces lectures dans une perspective symbolique et de personnification collective, s'opère
un va-et-vient entre des images pour l'Église, Marie et la condition de disciple. Marie
est considérée comme la personnification d'Israël, enfantant maintenant la communauté
chrétienne (cf. Isaïe 54, 1 ; 66, 7-8), tout comme elle a
enfanté auparavant le Messie (cf. Isaïe 7, 14). Si l'on considère à cette
lumière ce que dit Jean sur Marie au début et à la fin du ministère de Jésus, il est
difficile de parler de l'Église sans penser à Marie, la Mère du Seigneur, comme
représentant son archétype et sa première réalisation.
La femme dans Apocalypse 12
28. Dans un langage hautement symbolique, riche en images
scripturaires, le voyant de l'Apocalypse décrit la vision d'un signe dans le ciel
comprenant une femme, un dragon et l'enfant de la femme. Le récit d'Apocalypse 12 a
pour but de donner au lecteur l'assurance de la victoire finale des fidèles de Dieu aux
temps de la persécution et du combat eschatologique. Au cours de l'histoire, le symbole
de la femme a conduit à une variété d'interprétations. La plupart des exégètes
admettent que, dans son sens premier, la femme est une personnification collective :
le peuple de Dieu, soit Israël, soit l'Église du Christ, voire les deux. De plus, le
style narratif de l'auteur suggère que la « pleine image » de la femme n'est
atteinte qu'à la fin du livre quand l'Église du Christ devient la Jérusalem nouvelle
triomphante (Apocalypse 21, 1-3). Les difficultés réelles de la communauté de
l'auteur sont placées dans le cadre de l'histoire dans son ensemble, qui est la scène
où se poursuit la lutte entre les croyants et leurs ennemis, entre le bien et le mal,
entre Dieu et Satan. L'imagerie de la progéniture nous rappelle la lutte en
Genèse 3, 15 entre le serpent et la femme, entre la descendance du serpent et
celle de la femme.4
29. Cette interprétation essentiellement ecclésiale
d'Apocalypse 12 admise, reste-t-il toujours possible d'y trouver une référence
secondaire à Marie ? Le texte n'identifie pas explicitement la femme avec Marie. Il
renvoie à la femme comme à la mère de « l'enfant mâle qui doit régir toutes les
nations avec une verge de fer », une citation du Psaume 2, appliqué ailleurs
dans le Nouveau Testament au Messie aussi bien qu'au peuple croyant de Dieu (cf. Hébreux
1, 5 ; 5, 5 ; Actes 13, 33 avec Apocalpyse 2, 27). De ce
fait, quelques auteurs patristiques en sont venus à penser à la mère de Jésus en
lisant ce chapitre 5.5 Étant donné la place du
livre de l'Apocalypse dans le canon de l'Écriture, dans laquelle les différentes images
bibliques s'entrelacent, la possibilité se fit jour d'une interprétation plus explicite,
à la fois individuelle et collective, d'Apocalypse 12, qui éclaire la place de
Marie et de l'Église dans la victoire eschatologique du Messie.
Réflexion scripturaire
30. Le témoignage scripturaire demande à tous les croyants à chaque
génération de dire Marie « bienheureuse » ; cette femme juive d'humble
situation, cette fille d'Israël qui vivait dans l'espérance de la justice pour les
pauvres, que Dieu a comblée de grâce et choisie pour devenir la mère virginale de son
Fils par l'Esprit Saint qui l'a couverte de son ombre. Nous la proclamons bienheureuse
comme la « servante du Seigneur » qui a donné son consentement inconditionnel
à l'accomplissement du plan de salut de Dieu, comme la mère qui a médité toutes choses
dans son cœur, comme la femme réfugiée cherchant asile dans un pays étranger, comme la
femme transpercée par la souffrance innocente de son propre enfant, et comme la femme à
qui Jésus a confié ses amis. Nous sommes unis à elle et aux apôtres lorsqu'ils prient
pour l'effusion de l'Esprit sur l'Église naissante, la famille eschatologique du Christ.
Et nous pouvons aussi entrevoir en elle la destinée finale du peuple de Dieu, qui est
d'avoir part à la victoire de son fils sur les puissances du mal et de la mort.
B. Marie dans la tradition chrétienne
Le Christ et Marie dans la tradition ancienne commune
31. Dans l'Église ancienne, la réflexion sur Marie servait à
interpréter et à sauvegarder la Tradition apostolique centrée sur Jésus Christ. Le
témoignage patristique sur Marie « mère de Dieu » (Theotókos)
s'est dégagé d'une réflexion sur l'Écriture et de la célébration des fêtes
chrétiennes, mais s'est développé principalement du fait des querelles christologiques
anciennes. Dans le creuset de ces controverses des cinq premiers siècles et leur
résolution dans les conciles œcuméniques successifs la réflexion sur le rôle de Marie
dans l'Incarnation faisait partie intégrante de l'articulation de la foi orthodoxe en
Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme.
32. Pour la défense de l'humanité vraie du Christ et contre le
docétisme, l'Église ancienne a souligné que Jésus est né de Marie. Il n'avait pas
simplement « apparence » humaine ; il n'est pas descendu du ciel dans un
« corps céleste » et, pour sa naissance, il n'est pas simplement
« passé à travers » sa mère. Au contraire, c'est de sa propre substance que
Marie a enfanté son fils. Pour Ignace d'Antioche ( 110 env.) et Tertullien
( 225 env.), Jésus est pleinement homme parce que « vraiment né »
de Marie. Selon les termes du credo de Nicée-Constantinople (381), « il s'est
incarné de l'Esprit Saint et de la Vierge Marie et s'est fait homme ». La
définition de Chalcédoine (451), réaffirmant ce credo, atteste que le Christ est
« consubstantiel au Père selon la divinité et le même consubstantiel avec nous
selon l'humanité ». Le symbole d'Athanase confesse plus concrètement encore qu'il
est « homme de la substance de sa Mère ». Cela les anglicans et les
catholiques romains l'affirment ensemble.
33. Pour défendre la divinité véritable de Jésus, l'Église
ancienne a mis l'accent sur sa conception virginale en Marie. Selon les Pères, sa
conception par l'Esprit Saint atteste l'origine divine et l'identité divine du Christ.
Celui qui est né de Marie est le Fils éternel de Dieu. Les Pères d'Orient et d'Occident
-- comme Justin ( 150 env.), Irénée ( 202 env.),
Athanase ( 373) et Ambroise ( 397) -- ont exposé cet enseignement
du Nouveau Testament dans les termes de Genèse 3 (Marie est l'antitype d'
« Ève vierge ») et d'Isaïe 7, 14 (elle accomplit la vision du
prophète et donne naissance à « Dieu avec nous »). Ils ont fait appel à la
conception virginale pour défendre tout ensemble la divinité du Seigneur et l'honneur de
Marie. Comme le confesse le symbole des apôtres : Jésus Christ « a été conçu du
Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie. » Cela les anglicans et les catholiques
romains l'affirment ensemble.
34. Le titre de Marie Theotókos était officiellement
invoqué pour sauvegarder la doctrine orthodoxe de l'unité de la personne du Christ. Ce
titre fut en usage dans des Églises sous l'influence d'Alexandrie au moins depuis
l'époque de la controverse arienne. Puisque Jésus Christ est « vrai Dieu de vrai
Dieu », comme l'a déclaré le concile de Nicée (325), ces Églises ont conclu que
sa Mère, Marie, peut à juste titre être appelée « génitrice de Dieu ».
Des Églises sous l'influence d'Antioche, toutefois, conscientes de la menace que
l'apollinarisme posait pour la foi en la pleine humanité du Christ, n'ont pas
immédiatement adopté ce titre. Le débat entre Cyrille d'Alexandrie ( 444) et
Nestorius ( 455), patriarche de Constantinople, formé dans l'école
antiochienne, a manifesté que ce qui était effectivement en question dans le titre de
Marie était l'unité de la personne du Christ. Le concile d'Éphèse qui a suivi (431) a
employé Theotókos (littéralement celle qui enfanté Dieu, en latin Deipara)
pour affirmer l'unité de la personne du Christ en identifiant Marie comme la Mère de
Dieu le Verbe incarné.6 La règle de la foi sur
cette question prend une expression plus précise dans la définition de
Chalcédoine : « un seul et même Fils ... avant les siècles engendré du
Père et, aux derniers jours, pour nous et notre salut de la Vierge Marie Theotókos
selon l'humanité. » En recevant le concile d'Éphèse et la définition de
Chalcédoine, anglicans et catholiques romains confessent ensemble Marie comme Theotókos.
La célébration de Marie dans les traditions anciennes communes
35. Dans les premiers siècles, la communion dans le Christ comportait
un sens très fort que la présence vivante des saints faisait partie intégrante de
l'expérience spirituelle des Églises (He 12, 1. 22-24 ;
Ap 6, 9-11 ; 7 ; 8, 3-4). On se mit à considérer que, dans la
« nuée des témoins », la mère du Seigneur tenait une place spéciale. Des
thèmes développés à partir de l'Écriture et dans la réflexion pieuse témoignent
d'une conscience profonde du rôle de Marie dans le rédemption de l'humanité. Parmi ces
thèmes on trouve Marie en contrepartie avec Ève et comme type du Christ. La réponse du
peuple chrétien, réfléchissant à ces thèmes, a trouvé une expression dévotionnelle
dans la prière privée aussi bien que dans la prière publique.
36. Les exégètes se sont plus à tirer des Écritures des images
féminines pour contempler la signification à la fois de l'Église et de Marie. Très
tôt, des Pères comme Justin Martyr ( 150 env.) et Irénée
( 202 env.), réfléchissant sur des textes comme Genèse 3 et Luc
1, 26-38, ont développé, à côté de l'antithèse Adam/Nouvel Adam, celle
d'Ève/Nouvelle Ève. Tout comme Ève est associée à Adam pour causer notre défaite, de
même Marie est associée avec son Fils dans la conquête sur l'ancien ennemi (cf. Genèse
3, 15, voir ci-dessus note 4) : la désobéissance de la
« vierge » Ève aboutit à la mort ; l'obéissance de la vierge Marie
ouvre la voie au salut. La nouvelle Ève a part à la victoire du Nouvel Adam sur le
péché et la mort.
37. Les Pères ont présenté Marie la Vierge Mère comme un modèle
de sainteté pour les vierges consacrées et ont enseigné de plus en plus nettement
qu'elle est restée « Toujours-Vierge ».7
Dans leur réflexion, ils comprennent la virginité non seulement comme une intégrité
physique mais comme une disposition intérieure d'ouverture, d'obéissance et une
fidélité sans compromission au Christ, une disposition qui façonne la condition
chrétienne de disciple et débouche sur la fécondité spirituelle.
38. Dans cette compréhension patristique, la virginité de Marie
était étroitement liée à sa sainteté. Bien que quelques exégètes anciens aient
pensé que Marie n'était pas totalement sans péché,8
Augustin ( 430) atteste la réticence contemporaine à parler de quelque péché que
ce soit en elle.
« Il nous faut donc excepter la sainte Vierge Marie, au sujet de laquelle, je
veux qu'il ne soit posé aucune question quand il s'agit de péchés, par égard pour
l'honneur du Seigneur, car nous savons de lui quel surcroît de grâce pour vaincre le
péché en tous points lui fut conféré à elle qui a mérité de concevoir et d'enfanter
celui qui manifestement n'avait aucun péché » (De natura et gratia,
36. 42).
D'autres Pères d'Occident et d'Orient, faisant appel à la salutation angélique
(Luc 1, 28) et à la réponse de Marie (Luc 1, 38), défendent l'idée
que Marie fut comblée de grâce depuis son origine en anticipation de sa vocation unique
de Mère de Dieu. Au cinquième siècle, ils l'ont salué comme une nouvelle
création : sans reproche, sans tache, « sainte dans son corps et son
âme » (Théodote d'Ancyre, Homélie 6. 11 ;
avant 446). Au sixième siècle, on peut trouver en Orient le titre panaghia
(toute-sainte).
39. A la suite des débats christologiques des conciles d'Éphèse et
de Chalcédoine, on a assisté à un épanouissement de la dévotion à Marie. Quand le
patriarche d'Antioche refusa à Marie le titre de Theotókos, l'empereur
Léon Ier (457-474) donna l'ordre au patriarche de Constantinople
d'insérer ce titre dans les prières eucharistiques partout en Orient. Au sixième
siècle, la commémoraison de Marie comme « génitrice de Dieu » était
devenue universelle dans les prières eucharistiques en Orient et en Occident (exception
faite de l'Église Assyrienne de l'Orient). On a multiplié les textes et les images
célébrant la sainteté de Marie dans la poésie et les chants liturgiques comme l'hymne
acathiste, une hymne probablement écrite très tôt après Chalcédoine et encore
chantée dans l'Église d'Orient. Il s'est établi progressivement une tradition de
prière avec Marie et de louange de Marie. Cette tradition fut associée depuis le
quatrième siècle, spécialement en Orient, avec la demande de sa protection.9
40. Après le concile d'Éphèse, on a commencé à dédicacer des
églises à Marie et à célébrer des fêtes en son honneur à certains jours
particuliers dans ces églises. Promues par la piété populaire et progressivement
adoptée par les Églises locales, des fêtes célébrant la conception de Marie
(8/9 décembre), sa naissance (8 septembre), sa présentation (21 novembre)
et sa dormition (15 août) furent comme le reflet en miroir de la commémoraison
liturgique d'événements de la vie du Seigneur. Elles puisèrent à la fois dans les
Écritures canoniques et dans les récits apocryphes de la vie terrestre de Marie et de
son « endormissement ». On peut dater une fête de la conception de Marie en
Orient de la fin du septième siècle, et elle fut introduite dans l'Église d'Occident
par le sud de l'Angleterre au début du onzième siècle. Elle a puisé dans la dévotion
populaire qui s'exprime dans le Protévangile de Jacques du second siècle et se
plaçait en parallèle à une fête du Seigneur, l'annonciation, et la fête existante de
la conception de Jean le Baptiste. La fête de l'« endormissement » de Marie
date de la fin du sixième siècle, mais fut influencée par des récits légendaires sur
la fin de la vie de Marie qui circulaient déjà largement. En Occident, celui qui a
exercé la plus grande influence fut le Transitus Mariae. En Orient, la fête
était connue sous le nom de « dormition », qui impliquait sa mort mais
n'excluait pas qu'elle fût emportée dans le ciel. En Occident, le terme utilisé fut
celui d'« assomption », qui soulignait qu'elle avait été enlevée dans le
ciel mais qui n'excluait pas la possibilité de sa mort. La croyance en son assomption
était fondée dans la promesse de résurrection des morts et la reconnaissance de la
dignité de Marie comme Theotókos et « Toujours Vierge »,
conjointement avec la conviction que celle qui a enfanté la Vie devait être associée à
la victoire de son Fils sur la mort et avec la glorification de son Corps, l'Église.
Le développement de la doctrine et de la dévotion mariales au Moyen Âge
41. La diffusion de ces fêtes de Marie a donné lieu à des homélies
dans lesquelles les prédicateurs ont fouillé les Écritures à la recherche de types et
de motifs qui pouvaient éclairer la place de la Vierge dans l'économie du salut. Durant
le Haut Moyen Âge l'accent mis de plus en plus sur l'humanité du Christ est allé de
pair avec l'attention portée aux vertus exemplaires de Marie. Bernard, par exemple,
développe nettement cette insistance dans ses homélies. La méditation à la fois sur la
vie du Christ et sur celle de Marie devint de plus en plus populaire et a suscité des
développements de pratiques de dévotion comme le rosaire. Les peintures, sculptures et
vitraux du Haut Moyen Âge et de la fin du Moyen Âge ont donné à cette dévotion des
aspects de proximité et des couleurs.
42. Durant ces siècles, se sont opérés quelques glissements majeurs
d'accent dans la réflexion théologique sur Marie. Les théologiens du Haut Moyen Âge
ont développé la réflexion patristique sur Marie comme « type » de
l'Église et aussi comme la Nouvelle Ève dans une ligne qui l'associait toujours
davantage au Christ dans l'oeuvre ininterrompue de la rédemption. Le centre de
l'attention des croyants s'est déplacé de Marie représentant l'Église fidèle, et de
ce fait également l'humanité rachetée, vers Marie dispensatrice des grâces du Christ
auprès des fidèles. Les théologiens scolastiques d'Occident ont développé un corpus
de doctrine de plus en plus élaboré sur Marie considérée pour elle-même. Une bonne
partie de cette doctrine a proliféré à partir d'une spéculation sur la sainteté et la
sanctification de Marie. Les questions à ce sujet furent influencées non seulement par
la théologie scolastique de la grâce et du péché originel, mais aussi par des
présupposés concernant la procréation et les relations du l'âme et du corps. Par
exemple, si elle a été sanctifiée dans le sein de sa mère, plus parfaitement que même
Jean le Baptiste et Jérémie, certains théologiens pensèrent que le moment précis de
sa sanctification devait être déterminé suivant la façon dont on comprenait à
l'époque le moment précis de l'infusion de l'« âme raisonnable » dans le
corps. Les développements théologiques de la doctrine occidentale de la grâce et du
péché soulevèrent d'autres questions : comment Marie pouvait-elle être libre de
tout péché, y compris du péché originel, sans que soit compromis le rôle du Christ
comme Sauveur universel ? La réflexion spéculative a conduit à d'intenses
discussions sur la façon dont la grâce rédemptrice de Christ a pu préserver Marie du
péché originel. La théologie pondérée de la sanctification de Marie que l'on trouve
dans la Somme de théologie de Thomas d'Aquin et le raisonnement subtil de Duns
Scot au sujet de Marie furent déployés dans de larges controverses tendant à préciser
si Marie fut immaculée dès le premier moment de sa conception.
43. Dans la dernière partie du Moyen Âge, la théologie scolastique
s'est développée de façon de plus en plus séparée de la spiritualité. De moins en
moins enracinés dans l'exégèse scripturaire, les théologiens se fondèrent sur la
probabilité logique pour établir leurs positions et les nominalistes spéculèrent sur
ce que pouvaient réaliser dans l'absolu le pouvoir et la volonté de Dieu. La
spiritualité, qui ne se trouvait plus en tension créative avec la théologie, accentua
l'affectivité et l'expérience personnelle. Dans la religion populaire, on en vint
largement à considérer Marie comme un intermédiaire entre Dieu et l'humanité, et aussi
comme opérant des miracles avec des pouvoirs frôlant le pouvoir divin. Au fil du temps,
cette piété populaire a influencé les opinions théologiques de ceux qui avaient grandi
avec elle et qui ont, par la suite, élaboré une justification théologique pour la
dévotion mariale foisonnante du Moyen Âge finissant.
De la Réformation à nos jours
44. Une des impulsions puissantes qui tendaient vers la Réforme dans
les débuts du seizième siècle fut une réaction largement répandue contre les
pratiques dévotionnelles qui approchaient Marie comme une médiatrice à côté du
Christ, voire quelquefois à sa place. Ce genre de dévotions exagérées, en partie
inspirées par des présentations du Christ en Juge inaccessible tout autant qu'en
Rédempteur, furent vivement critiquées par Érasme et Thomas More et résolument
rejetées par les Réformateurs. En même temps qu'une re-réception radicale de
l'Écriture comme la pierre de touche fondamentale de la révélation divine, il y eut
chez les Réformateurs une re-réception de la foi que Jésus Christ est le seul
médiateur entre Dieu et l'humanité. Cela entraîna un rejet des abus réels et supposés
qui entouraient la dévotion à Marie et dont on se rendait compte. Cela conduisit
également à la perte de certains aspects positifs de dévotion et à la diminution de sa
place dans la vie de l'Église.
45. Dans ce contexte les Réformateurs anglais continuèrent à
recevoir la doctrine de l'Église ancienne au sujet de Marie. Leur enseignement positif
sur Marie se concentra sur son rôle dans l'Incarnation : il se résume dans leur
acceptation de Marie comme la Theotókos, car on considérait cela à la fois
comme scripturaire et en accord avec la tradition ancienne commune. Conformément aux
traditions de l'Église ancienne et à la suite d'autres Réformateurs tels Martin Luther,
les Réformateurs anglais comme Latimer (Works 2. 105), Cranmer (Works
2, 60 ; 2, 88) et Jewel (Works 3. 440-441) acceptèrent que
Marie était « Toujours Vierge ». À la suite d'Augustin, ils montrèrent
une certaine réticence devant l'affirmation que Marie était une pécheresse. Leur souci
principal était de souligner que seul le Christ était sans péché et que tout le genre
humain, Marie comprise, avait besoin d'un Sauveur (cf. Luc 1, 47). Les Articles
IX et XV ont affirmé l'universalité de la condition pécheresse des
hommes. Ils n'ont jamais ni affirmé ni nié la possibilité que Marie fût préservée
par grâce de la participation à cette condition humaine générale. Il est à remarquer
que, dans la collecte et la préface de Noël, le Book of Common Prayer mentionne
Marie comme « a pure virgin ».
46. Depuis 1561, le calendrier de l'Église d'Angleterre (qui a
été reproduit en 1662 dans le Book of Common Prayer) comporte cinq fêtes
associées à Marie : la Conception de Marie, sa Nativité, l'Annonciation, la
Visitation et la Purification/Présentation. Cependant il n'y avait plus de fête de
l'Assomption (15 août) : non seulement on pensait qu'elle manquait de
justification scripturaire, mais on la considérait aussi comme une exaltation de Marie
aux dépens du Christ. La liturgie anglicane, telle qu'elle s'exprime dans les Book of
Common Prayer successifs (1549, 1552, 1559, 1662) lorsqu'ils mentionnent Marie,
mettent en évidence son rôle en tant que la « pure vierge » de la
« substance » de qui le Fils a pris la nature humaine (cf. Article II).
Malgré la diminution de la dévotion à Marie au seizième siècle, la vénération
envers elle a perduré dans l'utilisation continuée du magnificat aux vêpres et
le maintien de la dédicace à son nom d'église anciennes et de chapelles Notre-Dame. Au
dix-septième siècle, des écrivains comme Lancelot Andrewes, Jeremy Taylor et Thomas Ken
se sont ré-approprié, à partir de la tradition patristique, une reconnaissance plus
ample de la place de Marie dans les prières du croyant et de l'Église. Par exemple,
Andrewes dans ses Preces Privatae a emprunté aux liturgies orientales en
montrant une dévotion mariale chaleureuse « commémorant la toute-sainte,
immaculée, plus que bénie Mère de Dieu et toujours-vierge Marie ». On peut
retrouver cette ré-appropriation au siècle suivant et dans le Mouvement d'Oxford au
dix-neuvième siècle.
47. Dans l'Église catholique romaine, la croissance continuelle de la
doctrine et de la dévotion mariales, bien que cadrée par les décrets de réforme du
concile de Trente (1545-1563) a pâti également de distorsion du fait de l'influence des
polémiques protestantes-catholiques. Être catholique-romain et s'identifier par une
insistance sur la dévotion mariale finirent par aller de pair. La profondeur et la
popularité de la dévotion mariale au dix-neuvième siècle et dans la première moitié
du vingtième a contribué à la définition des dogmes de l'Immaculée Conception (1854)
et de l'Assomption (1950). D'autre part, le caractère envahissant de cette spiritualité
a fini par provoquer une critique à la fois dans et au-delà de l'Église catholique et a
amorcé une re-réception. Cette re-réception fut évidente au deuxième concile du
Vatican qui, en consonance avec les renouveaux biblique, patristique et liturgique et avec
le souci de la sensibilité œcuménique, a choisi de ne pas élaborer de document
séparé sur Marie mais d'intégrer la doctrine sur Marie dans la constitution sur
l'Église Lumen gentium (1964) -- plus précisément dans sa section finale qui
décrit le pèlerinage eschatologique de l'Église (chapitre VIII). Le concile s'est
proposé « de mettre avec soin en lumière, d'une part le rôle de la bienheureuse
Vierge dans le mystère du Verbe incarné et du Corps mystique, et d'autre part les
devoirs des hommes rachetés envers la Mère de Dieu, Mère du Christ et Mère des hommes,
des croyants en premier lieu » (no. 54). Lumen gentium conclut en
appelant Marie un signe d'espérance et de réconfort pour le peuple de Dieu en
pèlerinage (no. 68-69). De propos délibéré les Pères du concile ont voulu
résister aux exagérations en revenant aux grands thèmes patristiques et en plaçant la
doctrine et la dévotion mariales dans son contexte christologique et ecclésiologique
authentique.
48. Très tôt après le concile, en face d'un déclin imprévue de la
dévotion à Marie, le pape Paul VI a publié une Exhortation Apostolique, Marialis
cultus (1974), pour dissiper des doutes sur les intentions du concile et favoriser
une juste dévotion mariale. Passant en revue la place de Marie dans le rite romain
révisé, il montre qu'elle n'a pas été « rétrogradée » par le renouveau
liturgique mais que la dévotion à Marie a sa vraie place dans la perspective
christologique qui est au centre de la prière publique. Il réfléchit sur Marie comme
« modèle de l'attitude spirituelle avec laquelle l'Église célèbre et vit les
divins mystères » (no. 16). Elle est le modèle pour tout l'Église mais aussi
« éducatrice de vie spirituelle pour chacun des chrétiens » (no. 21).
Selon Paul VI, l'authentique renouveau de la dévotion mariale doit être compris en
lien organique avec les doctrines de Dieu, du Christ et de l'Église. La dévotion à
Marie doit être en accord avec les Écritures et la liturgie de l'Église ; elle
doit être sensible aux préoccupations des autres chrétiens et elle doit affirmer la
pleine dignité des femmes dans la vie publique et privée. Le Pape exprime aussi des
mises en garde à ceux qui font erreur soit par exagération soit par négligence. Pour
finir, il recommande la récitation de l'angelus et le rosaire comme dévotions
traditionnelles qui sont compatibles avec ces normes. En 2002, le pape
Jean-Paul II conforte la focalisation christologique du rosaire en proposant cinq
« mystères de lumière », tirés du récit des évangiles sur le ministère
public du Christ entre le baptême et la Passion. « Tout en ayant une
caractéristique mariale », dit le Pape, « le Rosaire est une prière dont le
centre est christologique » (Rosarium Virginis Mariae 1).
49. Marie a trouvé une nouvelle importance dans le culte anglican à
travers les renouveaux liturgiques du vingtième siècle. Dans la plupart des livres de
prière anglicans, Marie est de nouveau mentionnée nommément dans les prières
eucharistiques. De plus, le 15 août est célébré très largement comme une fête
principale en l'honneur de Marie avec des lectures de l'Écriture, une collecte et une
préface propre. D'autres fêtes associées à Marie ont également été renouvelées et
des instruments liturgiques sont offerts pour ces fêtes. Étant donné le rôle décisif,
dans les formulaires anglicans, des textes et des pratiques liturgiques autorisés, ces
évolutions sont d'une grande portée.
50. Les évolutions ci-dessus montrent que, dans les décennies
récentes, une re-réception de la place de Marie dans le culte officiel s'est opérée à
travers la communion anglicane. Au même moment, dans Lumen gentium (chapitre VIII)
et l'exhortation Marialis cultus, l'Église catholique romaine a cherché à
placer la dévotion mariale dans le contexte de l'enseignement de l'Écriture et de la
tradition ancienne commune. Cela constitue pour l'Église catholique une re-réception de
l'enseignement sur Marie. La révision des calendriers et lectionnaires en usage dans nos
Communions, spécialement des dispositions liturgiques liées aux fêtes de Marie, atteste
d'un processus partagé de re-réception du témoignage de l'Écriture sur la place de
Marie dans la foi et dans la vie de l'Église. Des échanges œcuméniques croissants ont
contribué au processus de re-réception dans les deux Communions.
51. L'Écriture nous a conduits ensemble à louer et bénir Marie
comme la servante du Seigneur qui fut providentiellement préparée par la grâce divine
pour être la mère de notre Rédempteur. On peut considérer son consentement
inconditionnel à l'accomplissement du plan de salut de Dieu comme le plus haut exemple de
l'« amen » des croyants au « oui » de Dieu. Elle se dresse comme
un modèle de sainteté, d'obéissance et de foi pour tous les chrétiens. Comme celle qui
a reçu la Parole dans son cœur et dans son corps, et l'a faite naître dans le monde,
Marie appartient à la tradition prophétique. Nous sommes en accord dans notre croyance
en la bienheureuse Vierge Marie comme Theotókos. Nos deux Communions sont toutes
deux héritières d'une riche tradition qui reconnaît Marie comme toujours vierge et la
considèrent comme la nouvelle Ève et comme un type de l'Église. Nous nous joignons à
la prière et à la louange avec Marie, que toutes les générations ont appelée
bienheureuse, en observant ses fêtes et en l'honorant dans la communion des saints, et
nous sommes d'accord que Marie et les saints prient pour toute l'Église (voir ci-dessous
section D). En tout cela, nous voyons Marie comme inséparablement liée au Christ et
à l'Église. À l'intérieur de cette ample contemplation du rôle de Marie, nous portons
maintenant notre attention sur la théologie de l'espérance et de la grâce.
C. Marie dans le paradigme de la grâce et de l'espérance
52. Participer à la gloire de Dieu par la médiation du Fils dans la
puissance de l'Esprit, tel est l'espérance de l'évangile (cf. 2 Corinthiens
3, 8 ; 4, 4-6). L'Église jouit déjà maintenant de cette espérance et de
ce destin par l'Esprit Saint qui est le « gage » de notre héritage dans le
Christ (Éphésiens 1, 14 ; 2 Corinthiens 5, 5). Pour Paul en
particulier, on ne peut bien comprendre ce que signifie être pleinement humain que si on
le voit à la lumière de ce que nous devenons dans le Christ, le « dernier
Adam », opposé à ce que nous sommes devenus dans l'Adam ancien (1 Corinthiens
15, 42-49 ; Romains 5, 12-21). Cette perspective eschatologique voit la vie
chrétienne en termes de vision du Christ exalté conduisant les croyants à rejeter les
péchés qui « enlacent » (Hébreux 12, 1-2) et à participer à sa
pureté et à son amour, rendus accessibles par son sacrifice d'expiation (1 Jean
3, 3 ; 4, 10). Nous considérons alors l'économie de la grâce en partant
de son accomplissement dans le Christ pour remonter l'histoire à partir de cet
accomplissement plutôt qu'en la déroulant depuis son début dans la création déchue
jusqu'à l'avenir dans le Christ. Cette perspective présente une lumière neuve pour
considérer la place de Marie.
53. L'espérance de l'Église est fondée sur le témoignage qu'elle a
reçu concernant la gloire présente du Christ. L'Église proclame que le Christ n'a pas
seulement été ressuscité corporellement du tombeau mais qu'il a été exalté à la
droite du Père, pour participer de la gloire du Père (1 Timothée 3, 16 ;
1 Pierre 1, 21). Dans la mesure où les croyants sont unis au Christ dans le
baptême et participent aux souffrances du Christ (Romains 6, 1-6), ils ont part par
l'Esprit à sa gloire et sont ressuscités avec lui en anticipation de la révélation
finale (cf. Romains 8, 17 ; Éphésiens 2, 6 ; Colossiens 3, 1).
C'est la destinée de l'Église et de ses membres, les « saints » choisis dans
le Christ « avant la fondation du monde », d'être « saints et
irréprochables » et d'avoir part à la gloire du Christ (Éphésiens
1, 3-5 ; 5, 27). Paul parle pour ainsi dire rétrospectivement depuis le
futur quand il dit « ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés ; ceux
qu'il a appelés, il les a aussi justifiées ; et ceux qu'il a justifiés, il les a
aussi glorifiés » (Romains 8, 30). Dans les chapitres suivants de Romains,
Paul explique ce drame à plusieurs facettes qu'est l'élection par Dieu dans le Christ,
le considérant dans la perspective de sa fin : l'inclusion des païens de sorte que
« tout Israël sera sauvé » (Romains 11, 26).
Marie dans l'économie de la grâce
54. Dans ce cadre biblique nous avons considéré de façon
renouvelée la place spécifique de la Vierge Marie dans l'économie de la grâce, comme
celle qui a enfanté le Christ, l'élu de Dieu. La parole de Dieu délivrée par Gabriel
s'adresse à elle comme déjà « touchée par la grâce », l'invitant à
répondre dans la foi et la liberté à l'appel de Dieu (Luc
1, 28. 38. 45). L'Esprit opère en elle pour la conception du Sauveur et
celle qui est « bénie entre les femmes » est inspirée pour chanter
« toutes les générations me diront bienheureuse » (Luc 1, 42. 48).
Dans une perspective eschatologique, Marie incarne alors l'« Israël élu »
dont parle Paul -- glorifié, justifié, appelé, prédestiné. Voilà le paradigme de la
grâce et de l'espérance que nous voyons à l'oeuvre dans la vie de Marie, laquelle
tient, dans la destinée commune de l'Église, une place spécifique comme celle qui a
porté dans sa propre chair « le Seigneur de la gloire ». Marie est
distinguée depuis le début comme celle que Dieu a choisie, appelée et comblée de
grâce par l'Esprit pour la tâche qui était devant elle.
55. L'Écriture nous parle de femmes stériles à qui Dieu a fait don
d'enfants -- Rachel, la femme de Manoah, Anne (Genèse 30, 1-24 ; Juges
13 ; 1 Samuel 1) et celles qui avaient dépassé l'âge d'avoir des enfants
-- Sarah (Genèse 18 9-15 ; 21, 1-7) et la plus connue, Élisabeth, la
cousine de Marie (Luc 1, 7. 24). Ces femmes mettent en valeur le rôle singulier
de Marie, qui n'était ni stérile ni hors d'âge d'avoir encore des enfants, mais qui
était une vierge fertile : dans son sein l'Esprit a opéré la conception de Jésus.
Les Écritures parlent aussi du souci de Dieu pour tous les êtres humains même avant
leur venu au monde (Psaume 139, 13-18) et relatent l'action de la grâce de Dieu qui
précède l'appel spécifique de personnes particulières, même dès leur conception
(cf. Jérémie 1, 4-5 ; Luc 1, 15 ; Galates 1, 15). Avec
l'Église ancienne nous voyons dans l'acceptation de la volonté divine par Marie le fruit
de sa préparation antérieure, signifiée par l'affirmation de Gabriel la disant
« comblée de grâce ». Ainsi nous pouvons voir que Dieu était à l'oeuvre en
Marie depuis ses tout premiers commencements, la préparant pour sa vocation unique de
porter dans sa propre chair le nouvel Adam en qui toutes choses au ciel et sur la terre
sont maintenues ensemble (cf. Colossiens 1, 16-17). De Marie, à la fois
personnellement et comme une figure représentative, nous pouvons dire qu'elle est
« l'ouvrage de Dieu, créé dans le Christ Jésus pour les oeuvres bonnes que Dieu a
préparées d'avance » (Éphésiens 2, 10).
56. Marie, une pure vierge, a porté Dieu incarné dans son sein. Son
intimité corporelle avec son Fils allait de pair avec sa fidélité à le suivre et sa
participation maternelle dans le don victorieux qu'il a fait de lui-même (Luc
2, 35). Tout cela est clairement attesté dans l'Écriture, comme nous l'avons vu. On
ne trouve pas dans l'Écriture de témoignage direct au sujet de la fin de la vie de
Marie. Cependant certains passages donnent des exemples de personnes qui ont suivi
fidèlement les desseins de Dieu et ont été attirés dans la présence de Dieu. De plus,
ces passages offrent souvent des touches discrètes ou des analogies partielles qui
peuvent éclairer le mystère de l'entrée de Marie dans la gloire. Par exemple, le
paradigme biblique de l'eschatologie anticipée apparaît dans le récit d'Étienne, le
premier martyr (Actes 7, 54-60). Au moment de sa mort, dont les traits sont
semblables à celle de son Seigneur, il voit « la gloire de Dieu » et Jésus
« le Fils de l'homme » non pas siégeant pour le jugement mais « debout
à la droite de Dieu » pour accueillir son serviteur fidèle. Semblablement, le
voleur repentant qui fait appel au Christ crucifié reçoit la promesse spéciale de se
trouver immédiatement avec le Christ dans le paradis (Luc 23, 43). Élie, le
serviteur fidèle de Dieu, est enlevé par une tornade dans le ciel (2 Rois 2, 11) et
d'Hénoch il est écrit qu'il « avait reçu le témoignage qu'il avait été
agréable à Dieu » comme homme de foi et qu'à cause de cela il « fut enlevé
afin d'échapper à la mort et on ne le retrouva pas parce que Dieu l'avait
enlevé » (Hébreux 11, 5 ; cf. Genèse 5, 24). À l'intérieur d'un
tel paradigme d'eschatologie anticipée, on peut aussi voir Marie comme la disciple
fidèle pleinement présente avec Dieu dans le Christ. De cette façon, elle est un signe
d'espérance pour toute l'humanité.
57. Le paradigme de la grâce et de l'espérance déjà préfiguré
dans Marie sera accompli dans la nouvelle création dans le Christ quand tous les
rachetés participeront à la pleine gloire du Seigneur (cf. 2 Corinthiens
3, 18). L'expérience chrétienne de la communion avec Dieu dans la vie présente est
un signe et avant-goût de la grâce et de la gloire divines, une espérance partagée par
l'ensemble de la création (Romains 8,18-23). Le croyant individuel et l'Église trouvent
leur consommation dans la nouvelle Jérusalem, l'épouse sainte du Christ (cf. Apocalypse
21, 2 ; Éphésiens 5, 27). Quand, au fil des générations, les chrétiens
d'Orient et d'Occident ont médité l'oeuvre de Dieu dans Marie, ils ont discerné dans la
foi (cf. Don 29) qu'il sied que le Seigneur l'ait réunie pleinement avec
lui : dans le Christ elle est déjà une nouvelle création dans laquelle « le
monde ancien est passé et une réalité nouvelle est là » (2 Corinthiens
5, 17). Vue dans une telle perspective eschatologique, Marie peut être considérée
à la fois comme type de l'Église et comme une disciple qui tient une place spéciale
dans l'économie du salut.
La définition pontificale
58. Nous avons jusqu'ici donné un aperçu de notre foi commune
concernant la place de Marie dans le projet divin. Les catholiques romains, cependant,
sont tenus de croire l'enseignement défini par le pape Pie XII en 1950 « que
l'immaculée mère de Dieu, Marie toujours vierge, après avoir achevé le cours de sa vie
terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste ». Nous notons
que le dogme n'adopte pas une position particulière sur la façon dont la vie de Marie
s'est achevée,10 ni n'utilise à son sujet le
vocabulaire de mort et de résurrection, mais célèbre l'action de Dieu en elle. Ainsi,
étant donné la compréhension à laquelle nous sommes parvenus pour ce qui concerne la
place de Marie dans l'économie de l'espérance et de la grâce, nous pouvons affirmer
ensemble que l'enseignement disant que Dieu a pris la bienheureuse Vierge Marie, dans la
plénitude de sa personne, dans la gloire, est un enseignement en consonance avec
l'Écriture, et qu'on ne peut, en effet, le comprendre qu'à la lumière de l'Écriture.
Les catholiques romains peuvent reconnaître que cet enseignement concernant Marie est
contenu dans le dogme. Bien que la vocation et la destinée de tous les rachetés soit
leur glorification dans le Christ, Marie, comme Theotókos, tient la place
prééminente à l'intérieur de la communion des saints et incarne la destinée de
l'Église.
59. Les catholiques romains sont également tenus de croire que
« la bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, par une
grâce et une faveur singulière du Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus
Christ, Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché
originel » (dogme de l'Immaculée Conception défini par le pape Pie IX, 1854).11 La définition enseigne que Marie, tout comme
tous les autres êtres humains, a eu besoin du Christ comme son Sauveur et Rédempteur
(cf. Lumen gentium 53 ; Catéchisme de l'Église catholique 491).
La notion négative d'un « état-sans-péché » court le risque d'obscurcir la
plénitude de l'oeuvre de salut du Christ. Ce dont il s'agit ce n'est pas tellement qu'il
manque à Marie quelque chose qu'« ont » les autres humains, à savoir le
péché, mais que la grâce glorieuse de Dieu a rempli sa vie dès le début.12 La sainteté qui est notre fin dans le Christ
(cf. 1 Jean 3, 2-3), on l'a vue présente, par une grâce imméritée, en
Marie, qui est le prototype de l'espérance et de la grâce de l'humanité dans son
ensemble. Suivant le Nouveau Testament, être « comblé de grâce » connote
d'être délivré du péché par le sang du Christ (Éphésiens 1, 6-7). Les
Écritures indiquent l'efficacité du sacrifice expiatoire du Christ aussi pour ceux qui
l'ont précédé dans le temps (cf. 1 Pierre 3, 19 ; Jean
8, 56 ; 1 Corinthiens 10, 4). Ici, une nouvelle fois, la perspective
eschatologique éclaire notre compréhension de la personne et de l'appel de Marie. En
considération de sa vocation à être la mère de celui qui est le Saint
(Luc 1, 35), nous pouvons affirmer ensemble que l'oeuvre rédemptrice du Christ
rejaillit « par avance » sur Marie dans les profondeurs de son être et à ses
tout premiers débuts. Cela n'est pas contraire à l'enseignement de l'Écriture et ne
peut être compris qu'à la lumière de l'Écriture. Les catholiques romains peuvent
reconnaître en cela ce qui est affirmé par le dogme -- à savoir « préservée de
toute souillure du péché originel » et « au premier instant de sa
conception ».
60. Ensemble nous sommes tombés d'accord que l'enseignement sur Marie
dans les définitions de 1854 et 1950, comprises à l'intérieur du paradigme biblique de
l'économie de la grâce et du salut esquissé ici, peut être dit en consonance avec
l'enseignement des Écritures et les traditions anciennes communes. Toutefois, dans la
compréhension qu'en ont les catholiques romains selon les termes de ces deux
définitions, la proclamation de tout enseignement sous forme de dogme implique que
l'enseignement en question est affirmé comme « révélé par Dieu » et comme
devant par conséquent être cru « fermement et constamment » par tous les
fidèles (c.-à-d. il est de fide). Le problème que les dogmes peuvent poser aux
anglicans peut s'exprimer dans les termes de l'Article VI :
La Sainte Écriture contient toutes les choses nécessaires pour le salut : de
sorte que tout ce qui ne s'y lit pas ou ne peut pas être prouvé par elle, ne doit être
exigé de personne pour être cru comme article de la foi ni estimé requis ou nécessaire
pour le salut.
Nous sommes d'accord qu'on ne peut exiger qu'il faille croire comme article de foi quoi
que ce soit qui ne soit révélé par Dieu. Cependant, la question se pose pour les
anglicans de savoir si ces doctrines concernant Marie sont révélées par Dieu de telle
façon que les croyants doivent les tenir comme une matière de foi.
61. Les circonstances particulières et les formulations précises des
définitions de 1854 et 1950 ont créé des problèmes non seulement aux anglicans mais
aussi à d'autres chrétiens. Les formulations de ces doctrines et certaines objections
les concernant sont situées dans les formes de pensée de leur époque. En particulier
les expressions « révélé par Dieu » (1854) et « divinement
révélé » (1950) employés dans les dogmes reflètent la théologie de la
révélation qui dominait dans l'Église catholique romaine au temps où les définitions
furent données et qui ont trouvé une formulation officielle dans la constitution Dei
Filius du premier concile du Vatican. Il faut les comprendre aujourd'hui dans la
perspective dans laquelle cet enseignement a été affiné par le deuxième concile du
Vatican dans sa constitution Dei Verbum, en particulier pour ce qui concerne le
rôle central de l'Écriture dans la réception et la transmission de la révélation.
Quand l'Église catholique romaine affirme qu'une vérité est « révélée par
Dieu », il n'est aucunement question d'une nouvelle révélation. Plutôt, les
définitions sont comprises comme portant témoignage de ce qui a été révélé depuis
le début. Les Écritures sont porteuses du témoignage normatif quant à cette
révélation (cf. Don 19). Cette révélation est reçue par la
communauté des croyants et transmise dans les différents temps et lieux par les
Écritures et par la prédication, la liturgie, la spiritualité, la vie et l'enseignement
de l'Église, qui puisent dans les Écritures. Dans le Don de l'autorité la
Commission a cherché à expliciter une méthode par laquelle un tel enseignement officiel
peut survenir, le point clé étant qu'il doit être en conformité avec l'Écriture, ce
qui reste une préoccupation majeure pour les anglicans comme les catholiques romains.
62. Les anglicans ont également demandé si ces doctrines doivent
être tenues par les croyants comme une matière de foi, compte tenu du fait que
l'évêque de Rome les a définies « indépendamment d'un Concile » (cf. Autorité II 30).
En réponse, les catholiques romains ont attiré l'attention sur le sensus fidelium,
sur la tradition liturgique partout dans les Églises locales et sur le soutien actif des
évêques catholiques romains (cf. Don 29-30) : ce furent là les
éléments à travers lesquels ces doctrines ont été reconnues comme faisant partie de
la foi de l'Église et, par conséquent, susceptibles d'être définies (cf. Don 47).
Pour les catholiques romains l'habilitation à porter, sous certaines conditions
strictement délimités, une telle définition fait partie du ministère de l'évêque de
Rome (cf. Pastor Aeternus [1870], dans Denzinger-Schönmetzer, Enchiridion
Symbolorum [DS] 3069-3070). Les définitions de 1854 et de 1950 n'ont pas été
faites en réponse à une controverse, mais ont donné voix au consensus de la foi parmi
les croyants en communion avec l'évêque de Rome. Elles furent réaffirmées par le
deuxième concile du Vatican. Pour les anglicans, ce serait le consentement d'un concile
œcuménique qui, enseignant selon les Écritures, prouve le plus sûrement que les
conditions nécessaires sont réunies pour qu'un enseignement soit de fide. Là
où c'est la cas, comme pour la définition de la Theotókos, catholiques romains
aussi bien qu'anglicans s'accordent que le témoignage de l'Église doit être cru
fermement et constamment par tous les croyants (cf. 1 Jean 1, 1-3).
63. Les anglicans ont demandé si leur acceptation des définitions de
1865 et de 1950 constituerait une condition de la future restauration de la pleine
communion. Les catholiques romains trouvent difficile d'envisager une restauration de la
communion où l'acceptation de certaines doctrines serait requise des uns et pas des
autres. En abordant ces questions, nous avons été attentifs au fait que « l'une
des conséquences de notre séparation fut une tendance aussi bien des anglicans que des
catholiques romains d'exagérer l'importance des dogmes mariaux pour eux-mêmes au dépens
des autres vérités plus étroitement liés au fondement de la foi chrétienne » (Autorité II 30).
Anglicans et catholiques romains sont d'accord que les doctrines de l'Assomption et de
l'Immaculée Conception de Marie doivent être comprises à la lumière de la vérité
plus centrale de son identité de Theotókos, vérité qui elle-même dépend de
la foi en l'Incarnation. Nous reconnaissons que, suivant le deuxième concile du Vatican
et l'enseignement des papes récents, le contexte christologique et ecclésiologique de la
doctrine de l'Église concernant Marie fait l'objet d'une re-réception à l'intérieur de
l'Église catholique romaine. Nous suggérons maintenant que l'adoption d'une perspective
eschatologique puisse approfondir notre compréhension partagée de la place de Marie dans
l'économie de la grâce, et de la tradition de l'Église concernant Marie, que nos deux
Communions reçoivent. Nous exprimons l'espoir que l'Église catholique romaine et la
Communion anglicane reconnaissent une foi commune dans l'accord concernant Marie que nous
présentons ici. Une telle re-réception signifierait que l'enseignement et la dévotion
mariales à l'intérieur de nos communautés respectives, y compris les différences
d'accent, seraient considérés comme d'authentiques expressions de la croyance
chrétienne.13 Une telle re-réception devrait
se faire à l'intérieur du contexte d'une mutuelle re-réception d'une autorité
enseignante effective dans l'Église, telle celle présentée dans le Don de
l'Autorité.
D. Marie dans la vie de l'Église
64. « Toutes les promesses de Dieu trouvent leur "oui"
dans le Christ ; aussi est-ce par lui que nous disons"amen" à Dieu pour sa
gloire » (2 Corinthiens 1, 20). Le « oui » de Dieu dans le
Christ prend une forme spécifique et exigeante quand il est adressé à Marie. Le
mystère profond du « Christ au milieu de vous, l'espérance de la gloire »
(Colossiens 1, 27) a pour elle une signification unique. Il la rend capable de
prononcer l' « amen » dans lequel, par l'Esprit qui la couvre de son ombre, le
« oui » divin de la nouvelle création est inauguré. Comme nous l'avons vu,
ce fiat de Marie était spécifique quant à son ouverture à la Parole de Dieu
et quant au chemin vers le pied de la croix et au-delà sur lequel la conduisait l'Esprit.
Les Écritures décrivent Marie comme progressant dans sa relation avec le Christ :
l'appartenance du Christ à la famille naturelle de Marie (Luc 2, 39) fut
transcendée dans l'appartenance de Marie à la famille eschatologique du Christ, ceux sur
qui l'Esprit est répandu (Actes 1, 14 ; 2, 1-4). L'« amen » de
Marie au « oui » de Dieu dans le Christ, à elle adressé, est unique et, en
même temps, un modèle pour tout disciple et pour la vie de l'Église.
65. Un des résultats de notre étude fut de prendre conscience de
différences dans les façons dont nos traditions se sont approprié dans leur vie de
prière l'exemple de Marie réalisant la grâce de Dieu. Alors que les deux traditions ont
reconnu la place spéciale de Marie dans la communion des saints, des accents différents
ont marqué la façon dont nous avons perçu son ministère. Les anglicans ont eu tendance
à partir d'une réflexion sur l'exemple scripturaire de Marie comme inspiration et
modèle de la condition de disciple. Les catholiques romains ont donné la prééminence
au ministère continué de Marie dans l'économie de la grâce et dans la communion des
saints. Marie oriente les gens vers le Christ, les recommandant à lui et les aidant à
partager sa vie. Aucune de ces deux caractérisations générales ne fait pleinement
justice à la richesse et à la diversité de chacune des traditions et le vingtième
siècle a témoigné d'une convergence croissante, beaucoup d'anglicans étant poussés
vers une dévotion plus active envers Marie et les catholiques romains découvrant de
manière renouvelée les racines scripturaires de cette dévotion. Nous sommes ensemble
d'accord qu'en comprenant Marie comme l'exemple humain le plus plénier de la vie de
grâce, nous sommes appelés à réfléchir aux leçons de sa vie consignées dans
l'Écriture et à la rejoindre comme quelqu'un qui réellement n'est pas mort mais
vraiment vivant dans le Christ. Ce faisant, nous marchons ensemble comme des pèlerins en
communion avec Marie, la toute première parmi les disciples du Christ, et avec tous ceux
dont la participation à la nouvelle création nous encourage à être fidèles à notre
appel (cf. 2 Corinthiens 5, 17. 19).
66. Conscients de la place distincte de Marie dans l'histoire du
salut, les chrétiens lui ont donné une place spéciale dans leur prière liturgique et
leur prière privée, louant Dieu pour ce qu'il a fait dans et par elle. En chantant le magnificat,
ils louent Dieu avec elle ; dans l'eucharistie, ils prient avec elle tout comme ils
prient avec tout le peuple de Dieu, intégrant leurs prières dans la grande communion des
saints. Ils reconnaissent la place de Marie dans la « prière de tous les
saints » qui est prononcée devant le trône de Dieu dans la liturgie céleste
(Apocalypse 8, 3-4). Toutes ces façons d'inclure Marie dans la louange et la prière
appartiennent à notre héritage commun tout comme notre reconnaissance de son statut
unique comme Theotókos, qui lui donne une place distincte dans la communion des
saints.
Intercession et médiation dans la communion des saints
67. La coutume des croyants de demander à Marie d'intercéder pour
eux auprès de son Fils s'est rapidement développée après qu'elle fut déclarée Theotókos
au concile d'Éphèse. La forme aujourd'hui la plus commune de cette intercession est
le « Je vous salue Marie ». Cette formule noue ensemble les salutations à
Marie de Gabriel et d'Élisabeth (Luc 1, 28. 42). Elle était largement en
usage à partir du cinquième siècle, sans la partie finale « priez pour nous
pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort », ajoutée la première fois au
quinzième siècle et introduite dans le bréviaire romain par Pie V en 1568.
Les réformateurs anglais ont critiqué cette invocation et les formes de prières
semblables, car ils croyaient qu'elles mettaient en péril l'unique médiation de
Jésus-Christ. Confrontés à une dévotion exagérée, en défensive contre une
exaltation excessive du rôle et du pouvoir de Marie à côté de ceux du Christ, ils ont
rejeté « la doctrine romaine ... de l'invocation des saints » comme
n'étant « fondée sur aucune garantie de l'Écriture, mais plutôt contraire à la
Parole de Dieu » (Article XXII). Le concile de Trente a affirmé que
chercher l'assistance des saints pour obtenir la faveur de Dieu est « bon et
utile » : de telles demandes sont faites « par son Fils notre Seigneur
Jésus Christ, qui seul est notre Rédempteur et Sauveur » (DS 1821).
Le deuxième concile du Vatican a avalisé la pratique ininterrompue des croyants qui
demandent à Marie de prier pour eux, en soulignant que « le rôle maternel de Marie
à l'égard des hommes n'offusque et ne diminue en rien l'unique médiation du
Christ : il en manifeste au contraire la vertu » (Lumen gentium 60).
Aussi l'Église catholique romaine continue-t-elle de promouvoir la dévotion à Marie,
tout en réprouvant ceux qui soit exagèrent soit minimisent le rôle de Marie (Marialis
cultus 31). Ayant cet arrière-plan à l'esprit, nous cherchons une manière
théologiquement fondée de nous rejoindre plus étroitement dans la vie de prière en
communion avec le Christ et ses saints.
68. L'Écriture enseigne qu'« il n'y a qu'un seul médiateur
entre Dieu et les hommes, un homme : le Christ Jésus, qui s'est donné en rançon
pour tous » (1 Timothée 2, 5-6). Comme on l'a noté précédemment, sur
la base de cet enseignement « nous rejetons toute interprétation du rôle de Marie
qui obscurcit cette affirmation » (Autorité II 30). Cependant,
il est vrai également que tous les ministères de l'Église, spécialement ceux de la
Parole et des sacrements, sont médiateurs de la grâce de Dieu par l'intermédiaire
d'êtres humains. Ces ministères n'entrent pas en concurrence avec l'unique médiation du
Christ, ils la servent plutôt et ont leur source en elle. En particulier, la prière de
l'Église n'intervient pas à côté ou à la place de l'intercession du Christ, mais elle
est faite par lui, notre défenseur et médiateur (cf. Romains 8, 34; Hébreux
7, 25; 12, 24; 1 Jean 2, 1). Elle trouve à la fois sa possibilité et
sa pratique dans et par l'Esprit Saint, l'autre défenseur envoyé conformément à la
promesse du Christ (cf. Jean 14, 16-17). Par conséquent, demander à nos
frères et sœurs, sur terre et au ciel, de prier pour nous, n'est pas contester l'unique
médiation du Christ mais c'est plutôt un moyen grâce auquel, par et dans l'Esprit,
celle-ci peut déployer sa puissance.
69. Dans notre prière de chrétiens nous adressons nos demandes à
Dieu notre Père du ciel dans et par Jésus Christ suivant que l'Esprit Saint nous pousse
et nous en donne la capacité. Toutes ces invocations se font dans la communion qui est
l'être et le don de Dieu. Dans la vie de prière nous invoquons le nom du Christ en
solidarité avec toute l'Église, assistés par la prière de frères et de sœurs de tous
les lieux et de tous les temps. Comme l'ARCIC l'a exprimé précédemment, « le
pèlerinage de foi des croyants s'accomplit avec le soutien mutuel de tout le peuple de
Dieu. Dans le Christ, tous les croyants, à la fois les vivants et les défunts, sont
liés ensemble dans une communion de prière » (Le salut et l'Église
[1987] 22). Dans l'expérience de cette communion de prière, les croyants ont conscience
de leur compagnonnage continué avec leurs sœurs et frères « qui se sont
endormis », « la grande nuée de témoins » qui nous entoure tandis que
nous courons la course de la foi. Pour les uns, cette intuition signifie sentir la
présence de leurs amis ; pour d'autres elle peut signifier réfléchir aux questions
de la vie avec ceux qui les ont précédés dans la foi. Une telle expérience intuitive
affirme notre solidarité dans le Christ et avec les chrétiens de tous les temps et de
tous lieux, notamment avec la femme par qui il est devenu « semblable à nous en
tous points excepté le péché » (Hébreux 4, 15).
70. Les Écritures invitent les chrétiens à demander à leur frères
et sœurs de prier pour eux dans et par le Christ (cf. Jacques 5, 13-15). Ceux qui
sont maintenant « avec le Christ », libres des entraves du péché, partagent
la prière et la louange ininterrompues qui caractérise la vie au ciel (par ex.
Apocalypse 5, 9-14 ; 7, 9-12 ; 8, 3-4). A la lumière de ces
témoignages, beaucoup de chrétiens ont trouvé que l'on peut légitimement et
effectivement demander l'aide de leur prière à des membres de la communion des saints
qui se distinguent par la sainteté de leur vie (Jacques 5, 16-18). C'est en ce sens
que nous affirmons que demander aux saints de prier pour nous n'est pas à exclure comme
non scripturaire, bien que l'Écriture n'enseigne pas directement qu'il s'agit là d'un
élément requis par la vie en Christ. De plus, nous sommes d'accord que la manière dont
cette aide est recherchée ne doit pas obscurcir l'accès direct des croyants à Dieu
notre Père des cieux, qui se plaît à donner de bonnes choses à ses enfants (Matthieu
7, 11). Quand, dans l'Esprit et par le Christ, les croyants adressent leurs prières
à Dieu, ils sont assistés par la prière d'autres croyants, spécialement de ceux qui
vivent vraiment dans le Christ et sont libérés du péché. Nous notons que les formes
liturgiques de la prière sont adressées à Dieu : elles n'adressent pas de prières
« aux » saints mais leur demandent plutôt de « prier pour nous ».
Cependant, dans ces cas et dans d'autres, il faut rejeter, comme n'étant pas en
consonance avec l'Écriture et les traditions anciennes communes, toute idée d'une
invocation qui brouillerait l'économie trinitaire de la grâce et de l'espérance.
Le ministère caractéristique de Marie
71. Parmi tous les saints, Marie prend sa place comme Theotókos :
vivante dans le Christ, elle demeure avec celui qu'elle a enfanté, toujours
« comblée de grâce » dans la communion de grâce et d'espérance, le modèle
de l'humanité rachetée, une icône de l'Église. En conséquence, l'on croit qu'elle
exerce, par sa prière agissante, un ministère spécifique d'aide aux autres. Lisant le
récit de Cana, beaucoup de chrétiens continuent d'entendre Marie leur enseignant :
« Quoi qu'il vous dise, faites-le », et ils sont persuadés qu'elle attire
l'attention de son Fils sur leurs besoins : « ils n'ont pas de vin »
(Jean 2, 1-12). Beaucoup éprouvent un sentiment d'empathie et de solidarité avec
Marie, spécialement à des moments clés où le récit de sa vie fait écho aux moments
qu'ils vivent, par exemple l'acceptation de la vocation, le scandale de sa grossesse,
l'environnement improvisé dans lequel elle a accouché, l'enfantement et la fuite comme
une réfugiée. Les tableaux de Marie debout au pied de la croix et le tableau
traditionnel de Marie qui reçoit le corps de Jésus (la Pietà) évoquent les
souffrances particulières d'une mère à la mort de son enfant. Les anglicans comme les
catholiques romains sont attirés vers la mère du Christ comme une figure de tendresse et
de compassion.
72. Le rôle maternel de Marie, affirmé d'abord dans les récits que
l'évangile fait de sa relation à Jésus, a été développé de manières variées. Les
croyants chrétiens reconnaissent que Marie est la Mère de Dieu incarné. Lorsqu'ils
méditent la parole de notre Sauveur mourant au disciple bien-aimé, « Voici ta
mère » (Jean 19, 27), ils peuvent entendre une invitation à chérir
Marie comme « mère des croyants » : elle prendra soin d'eux comme elle a
pris soin de son Fils à l'heure où il a rencontré la difficulté. Entendant appeler
Ève « la mère de tous les vivants » (Genèse 3, 20), ils peuvent aller
jusqu'à considérer Marie comme mère de la nouvelle humanité, agissant dans son
ministère qui est d'orienter tout le monde vers le Christ, cherchant le bien-être de
tous les vivants. Nous sommes d'accord que, tout en gardant la prudence requise dans
l'emploi de telles images, il est séant de les appliquer à Marie comme une façon
d'honorer sa relation particulière à son Fils et l'efficacité en elle de son oeuvre de
rédemption
73. Beaucoup de chrétiens pensent que donner une expression de
dévotion à leur façon d'apprécier le ministère de Marie enrichit leur culte de Dieu.
Une dévotion populaire authentique à Marie, qui de par sa nature déploie une grande
diversité individuelle, régionale et culturelle, doit être respectée. Les foules qui
se rassemblent en certains lieux dont l'on croit que Marie y est apparue suggèrent que
les apparitions sont une part importante de cette dévotion et procurent du réconfort
spirituel. Il faut là un discernement prudent dans l'évaluation de la valeur spirituelle
des apparitions alléguées. La chose a été souligné dans un commentaire catholique
romain récent.
« La révélation privée ... peut être une aide valable pour comprendre et
mieux vivre l'Évangile à un moment particulier; c'est pourquoi elle ne doit pas être
négligée. Elle est une aide qui est offerte, mais dont il n'est nullement obligatoire de
faire usage ... Le critère pour la vérité et pour la valeur d'une révélation
privée est donc son orientation vers le Christ lui-même. Quand elle nous éloigne de
lui, quand elle se rend indépendante ou même quand elle se fait passer pour un dessein
de salut autre et meilleur, plus important que l'Évangile, elle ne vient certainement pas
de l'Esprit Saint » (Congrégation pour la doctrine de la foi, Commentaire
théologique sur le message de Fatima, 26 juin 2000).
Nous sommes d'accord que, à l'intérieur des contraintes posées dans cet enseignement
pour garantir que l'honneur rendu au Christ reste pré-éminent, on peut accepter une
telle dévotion privée mais sans jamais l'exiger des croyants.
74. Quand Marie a été reconnue pour la première fois comme mère du
Seigneur par Élisabeth, elle a répondu en louant Dieu et proclamant sa justice pour les
pauvres dans son Magnificat (Luc 1, 46-55). Dans la réponse de Marie nous
pouvons voir une attitude de pauvreté envers Dieu qui reflète l'engagement et la
préférence de Dieu pour les pauvres. Dans son impuissance elle est exaltée par la
faveur de Dieu. Bien que son témoignage d'obéissance et d'acceptation de la volonté de
Dieu fut quelquefois utilisé pour encourager la passivité et imposer la servitude aux
femmes, l'interprétation juste est de le voir comme un engagement radical envers Dieu qui
a pitié de sa servante, relève les humbles et abaisse les puissants. Des questions sur
la justice pour les femmes et sur l'émancipation des opprimés sont nées de la
méditation quotidienne du chant remarquable de Marie. Inspirées par les paroles de
Marie, des communautés de femmes et d'hommes dans différentes cultures se sont engagées
dans un travail avec les pauvres et les exclus. C'est seulement quand la joie s'unit à la
justice et à la paix que nous participons de façon authentique à l'économie de
l'espérance et de la grâce que Marie proclame et incarne.
75. Affirmant ensemble sans ambiguïté l'unique médiation du Christ,
qui porte du fruit dans la vie de l'Église, nous ne considérons pas l'usage de demander
à Marie et aux saints de prier pour nous comme un facteur de division de la communion.
Les obstacles du passé ayant été écartés par la clarification de la doctrine, par la
réforme liturgique et les normes pratiques pour son application, nous croyons qu'il ne
persiste plus de raison théologique de division ecclésiale en ces matières.
E. Conclusion
76. Notre étude, qui commence par une lecture ecclésiale et
œcuménique soigneuse des Écritures, à la lumière des traditions anciennes communes, a
éclairé de manière nouvelle la place de Marie dans l'économie de l'espérance et de la
grâce. Ensemble nous ré-affirmons les accords obtenus précédemment par l'ARCIC dans Autorité
dans l'Église II 30 :
- qu'aucune interprétation du rôle de Marie ne doit obscurcir l'unique médiation du
Christ,
- que toute considération de Marie doit être liée aux doctrines du Christ et de
l'Église,
- que nous reconnaissons la bienheureuse Vierge Marie comme la Theotókos, la
mère de Dieu incarné et observons de ce fait ses fêtes et l'honorons parmi les saints,
- que Marie fut préparée par grâce à être la mère de notre Rédempteur par qui elle
a elle-même été rachetée et reçue dans la gloire,
- que nous reconnaissons Marie comme modèle de sainteté, de foi et d'obéissance pour
tous les chrétiens et
- que Marie peut être considérée comme une figure prophétique de l'Église.
Nous croyons que le présent rapport approfondit de manière significative et élargit
ces accords, les plaçant dans une étude de l'ensemble de la doctrine et de la dévotion
associées à Marie.
77. Nous sommes convaincus que toute tentative de parvenir à une
compréhension réconciliée de ces questions doit commencer par une écoute de la parole
de Dieu dans les Écritures. Pour cette raison, notre rapport commun commence par une
exploration soigneuse du riche témoignage du Nouveau Testament sur Marie, à la lumière
des thèmes et paradigmes de l'ensemble de l'Écriture prise comme un tout.
- Cette étude nous a conduits à la conclusion qu'il est impossible d'être fidèle à
l'Écriture sans prêter l'attention qu'elle mérite à la personne de Marie
(paragraphes 6-30),
- En lisant ensemble les anciennes traditions communes, nous avons discerné de manière
renouvelée l'importance centrale de la Theotókos dans les querelles
christologiques et l'emploi par les Pères d'images bibliques pour interpréter et
célébrer la place de Marie dans le plan du salut (paragraphes 31-40).
- Nous avons passé en revue la progression de la dévotion à Marie durant les siècles
du Moyen Âge et les controverses théologiques s'y rapportant. Nous avons vu comment
certains excès dans la dévotion de la fin du Moyen Âge et les réactions des
Réformateurs contre eux ont contribué à briser la communion entre nous, à la suite de
quoi les attitudes envers Marie ont emprunté des voies divergentes
(paragraphes 41-46).
- Nous avons également constaté les développements qui ont suivi dans chacune de nos
Communions, ouvrant la voie à une re-réception de la place de Marie dans la foi et la
vie de l'Église (paragraphes 47-51).
- Cette convergence croissante nous a permis aussi d'aborder de manière renouvelée les
questions sur Marie que nos deux Communions nous ont posées. Pour ce faire, nous avons
cadré notre travail dans le paradigme de la grâce et de l'espérance que nous
découvrons dans l'Écriture -- « prédestinés ... appelés ...
justifiées ... glorifiés » (Romains 8-30 (paragraphes 5-57).
Avancées dans l'accord
78. Comme résultat de notre étude, la Commission présente les
accord suivants, que nous croyons être une avancée significative de notre consensus
concernant Marie. Nous affirmons ensemble :
- que l'enseignement selon lequel Dieu a pris la bienheureuse Vierge Marie dans la
plénitude de sa personne dans la gloire est en consonance avec l'Écriture et doit être
compris uniquement à la lumière de l'Écriture (paragraphe 58) ;
- qu'en considération de sa vocation à être la mère de celui qui est le Saint,
l'oeuvre rédemptrice du Christ a atteint par avance Marie dans les profondeurs de son
être et à ses tout premiers débuts (paragraphe 59) ;
- que l'enseignement sur Marie des deux définitions de l'Assomption et de l'Immaculée
Conception, compris dans le cadre du paradigme biblique de l'économie de l'espérance et
de la grâce, peut être dit en consonance avec l'enseignement de l'Écriture et des
traditions anciennes communes (paragraphe 60) ;
- que cet accord, une fois accepté par nos deux Communions, situerait les questions sur
l'autorité qui surgissent à partir des définitions de 1854 et de 1950 dans un nouveau
contexte œcuménique (paragraphes 61-63) ;
- que Marie exerce un ministère ininterrompu qui est au service du ministère du Christ,
notre unique médiateur, que Marie et les saints prient pour toute l'Église et que
l'usage de demander à Marie et aux saints de prier pour nous n'est pas un facteur de
division de la communion (paragraphes 64-75).
79. Nous sommes d'accord que les doctrines et dévotions qui sont
contraires à l'Écriture ne peuvent être dites révélées par Dieu ni être
l'enseignement de l'Église. Nous sommes d'accord que les doctrines et dévotions
centrées sur Marie, y compris les affirmations sur des « apparitions
privées », doivent être régulées par des normes qui garantissent la place unique
et centrale de Jésus Christ dans la vie de l'Église et que seul le Christ, ensemble avec
le Père et l'Esprit Saint, doit être adoré dans l'Église.
80. Notre rapport a cherché non pas à dissiper tous les problèmes
possibles mais à approfondir notre intelligence commune jusqu'au point où les
diversités subsistantes dans les pratiques de dévotion peuvent être reçues comme
l'oeuvre variée de l'Esprit parmi tout le peuple de Dieu. Nous croyons que l'accord que
nous avons dessiné ici est lui-même le produit d'une re-réception de la doctrine sur
Marie par les anglicans et les catholiques romains et qu'il oriente vers la possibilité
d'une réconciliation plus ample, dans laquelle les questions concernant la doctrine sur
Marie et la dévotion à Marie ne doivent plus être considérés comme facteurs de
division pour la communion ou comme obstacle pour une nouvelle étape de notre progression
vers la koinonia visible. Ce rapport d'accord est maintenant proposé à nos
autorités respectives. Il peut aussi représenter par lui-même une étude valable de
l'enseignement de l'Écriture et des traditions anciennes communes sur la bienheureuse
Vierge Marie, la Mère de Dieu incarné. Notre espoir est que, puisque nous avons part au
même Esprit par qui Marie a été préparée et sanctifiée pour sa vocation unique, nous
puissions participer ensemble avec elle et tous les saints à la louange sans fin de Dieu.